Devant les librairies, je prends des poses de chasseur.
P.203
Le chien cuisait dans la poussière,
Poils en grumeaux, fertiles,
ses yeux s'ouvraient sur des rivières
Qu'aucun gosse n'avait barboté.
P.120
Elles reviennent de la mer avec les mains très fines
les jambes si transparentes qu'on y voit le cœur.
Extraits de « Le marcheur »
Un comédien est mort. Le plein été.
Les merles n'ont pas encore sablé toutes les
prunes.
Les chiens sont comme je les aime
Endormis pour être plus vivants.
Un village, trop de charrettes en l'air,
Des corridors de thym où l'on cache les mauvais
outils.
Le jeune docteur, vif, synchrone, vient de sortir
Avec l'infirmière qui a dû vendre de radieuses
glaces.
On lui a donné pourtant de bon beefsteaks.
La mère met plus de noir sur le feu.
Deux volets se ferment sur un corps
Déjà invraisemblable comme l'espace, la
lumière.
p.236
Extraits de « Le marcheur »
Jamais il n'a fait aussi beau.
Mouches pompons. Métros loukoums.
Un chien de ma chienne prend une cuite
Dans une rue noiraude fêlée comme un cul.
Les pipeaux sont mûrs
Fenêtres féroces.
Les acacias quittent le siècle.
Les anges bouclent leur valise
Automne. Miches précieuses.
Désir de marcher devant soi, de tirer.
Les filles vont loin dans leur corps
Devant la glace aux bruyères moins floues.
p.138
Extraits de «Le partisan »
Chant III
I
Village bleu roux, marche douce.
La rosée est gelée, l'aubépine perdue.
Des chevaux passaient sur des sentes versées
Non loin des rivières dolentes.
Un poème naît, dur, compact, monumental,
Je sens une puissance, j'attrape un rythme
Prés, les collines chuchotent, brûlées d'hommes
forts,
Parle, parle-moi de tes femmes lointaines,
De cette fille rousse qui par la suite épousa un
marin,
Aux yeux indicibles, aux cuisses blondes.
C'était à la saison folle des eaux printanières,
Parmi l'abeille précoce et les boutons d'or.
Nous nous étions rencontrés chez mon grand-
père,
Le noyer clairsemait ses ombres, bleutait ses
lumières.
Le vin dormait près de la rainette aux moiteurs
lavande.
L'escarpolette volait au lent sillage maritime….
p.39-40
Diaspar
Il était neuf heures lorsque j’arrivai à Diaspar.
Les rues étaient lentes. Les chiens indolents.
Nulle féerie. Certes, le vent était bleu
Et j’aperçus aux fenêtres quelques femmes magnifiques.
De tavernes, point. Où produire le tabac, où cerner
l’avenir ?
J’interrogeai un badaud. Il ne me répondit pas.
Je descendis vers la mer. Rien. Je fis voile vers le quartier
des bureaux. Silence.
D’immenses bœufs rôtissaient. Il fit froid. Peut-être
était-ce la nuit.
Je compris que cette cité était celle des Poètes
Et que j’allais tout à la fois et de toute éternité à
chaque seconde vivre et mourir .
À l’Alcazar…
À l’Alcazar, bougeottaient les étoiles.
Place Jourdain, beau de cinématographier !
Les jardins ne coupaient pas le mystère en deux.
La joie de vivre souriait dans sa barbe.
J’étais alors mince comme un poète,
Jambon, pain, bière gouge.
Les soirs me tenaient longuement la main.
Les filles m’entouraient de framboises.
J’ai peur de ne pas retrouver le manège, les rosses,
De ne plus savoir tenir entre mes bras le vent quinquet. ...
Extraits de « Le marcheur »
Les lessives du dimanche, les toits qui tètent,
Les arbres en muscles aux polos bi-couleurs,
Les mariniers qui déclenchent des moustaches
Qui, en l'air, sautent comme des carpillons.
La chaleur aux lèvres rouges, écœurante de
framboises,
Les chalands qui tiennent leur peigne en avant
comme un appareil photo,
Les bourgeois en bagues qui vernissent la
mousse
D'un rognon de tabac, petit salé d'un bretzel.
La joie d'hésiter, de se tromper, de flatter,
L'instinct voyeur, fringuant, lumineux comme
une montre.
Le juron que l'on trille à coups de dents
Pour les copains pointillistes que, sur le tard,
On croit voir s'enfuir en nacelles dans un déluge
de chiens.
p.181-182
Extraits de « Le marcheur »
Vous êtes fiers de vos mots crus.
Vous pensez, la voie est libre
Pour la crampette facile ; les bosses infatigables.
Ce n'est pas vous qui payeriez de petites femmes.
Vous n'avez que faire de frisotter, de bougonner
les billards,
De libérer l'apéro, vous ne buvez pas d'alcool.
Vous vous posez dans le bois, vous attendez
l'étincelle.
Les sodas frémissent bien frais : votre marée.
Vous ne pouvez imaginer tenir une rue comme
un bouquet.
Pour vous, une rose ne peut être que visible.
Un bistrot n'a pas de fougères, de silence,
d'espace.
La vraie vie ne partage pas ses grillons.
p.205