On chercherait en vain, dans les trente pages du Compte-rendu du Congrès de Genève, le nom de Karl Marx. À dessein, il ne s’était pas rendu à cette réunion, préférant rester dans la coulisse. Un mois après, il écrivait à son jeune ami et confident, le Dr Kugelmann : « J’avais de grandes inquiétudes au sujet du premier Congrès, à Genève. Mais, en somme, il a réussi au-delà de mon attente. L’impression en France, en Angleterre et en Amérique était inespérée. Je n’ai pas pu y aller, et ne l’ai pas voulu non plus, mais c’est moi qui ai écrit le programme des délégués de Londres. Je l’ai limité exprès aux points qui permettent une entente immédiate et une action commune des ouvriers, et qui donnent immédiatement un aliment et une impulsion aux besoins de la lutte de classe et à l’organisation des ouvriers comme classe."
Et si vous viviez dans les républiques suisses, sous nos institutions démocratiques dans la forme, institutions grâce auxquelles le peuple, qui se croit libre, ne s’aperçoit pas de sa servitude économique, et se laisse docilement embrigader par les charlatans politiques qui ont besoin de lui pour escalader le pouvoir ; — si vous viviez dans ce milieu-là, vous éprouveriez sans doute comme nous le besoin de protester contre l’immorale comédie du suffrage universel, et de répéter aux ouvriers de notre pays que la première chose à faire, pour travailler à leur émancipation, est de se débarrasser des intrigants politiques qui cherchent à escamoter les questions sociales, et que, pour se débarrasser d’eux, le moyen le plus simple est de leur refuser leurs votes. Si les ouvriers de Paris n’avaient pas voté autrefois pour Jules Favre, Jules Simon et autres de la même clique, ils ne fussent pas devenus plus tard les victimes de ces misérables, dans lesquels ils s’étaient donné des maîtres en leur accordant leurs suffrages.
Du reste, nous vous le répétons, nous reconnaissons de la façon la plus complète le droit des ouvriers anglais à adopter une tactique différente, et nous croyons même qu’il est utile qu’ils tentent cette expérience. Nous verrons ainsi qui de vous ou de nous atteindra le plus vite et le plus sûrement le but, et les premiers arrivés tendront la main à leurs frères restés en arrière. (Le Comité fédéral jurassien au Conseil fédéral anglais -17 novembre 1872)
À Paris,où il arrivait avec son fidèle Reichel, il retrouva Herwegh et sa jeune femme(Emma Siegmund). Il fit la con-naissance de Karl Marx,qui,venu à Paris à la fin de 1843,fut d’abord,lui aussi,l’un des collaborateurs d’Arnold Ruge,mais qui bientôt commença,avec Engels,l’élaboration d’une doctrine spéciale.Bakounine se lia aussi avec Proudhon,qu’il voyait fréquemment:d’accord sur certains points essentiels,et divisés sur d’autres,il leur arrivait d’engager des discussions qui se prolongeaient des nuits entières.Il apprit également à connaître Mme George Sand,dont il admirait le talent,et qui était alors sous l’influence de Pierre Leroux. Ces années de Paris furent,pour le développement intellectuel de Michel Bakounine,des plus fécondes:c’est alors que s’ébauchèrent dans son esprit les idées qui constitueront son programme révolutionnaire;mais elles sont encore mal dé-brouillées sur plus d’un point,et mêlées d’un reste d’idéalisme métaphysique dont il ne se débarrassera tout à fait que plus tard.
C’est ici que le combat commence;et si forte est notre cause,que nous,quelques hommes épars,et les mains liées, par notre seul cri de guerre nous inspirons l’effroi à leurs myriades! Allons,du cœur,et je veux rompre vos liens, ô Germains qui voulez devenir des Grecs, moi le Scythe.Envoyez-moi vos ouvrages; je les ferai imprimer dans l’île de Rousseau, et en lettres de feu j’écrirai une fois encore dans le ciel de l’histoire: Mort aux Perses!