La béatitude passive débouche vite sur l'obésité du corps et la maigreur de l'esprit. Il est bien de pouvoir lutter, avancer, reculer aussi, mais souvent dans une direction imprévue, il faut du répondant, être balayé par le vent, par des bourrasques dont on finit par émerger, en somme vivre et non pas végéter. (p. 22)
Donc , ne pas montrer ce qu'on est, même quand on ne sait pas qui l'on est.
Mais le sait-on jamais ? Ceux qui croyaient savoir qui était Marcel-ses parents- voulaient juste un miroir de poche à usage personnel. (p. 110)
Il est probable que Céline ait utilisé son expérience de commotion de guerre pour décrire celle de son personnage Bardamu dans "Voyage au bout de la nuit"(...) Il s'est également inspiré de son expérience de traitement par l'électricité pour décrire celui de Bardamu.
D'autres papiers avaient mieux résisté à l'hibernation, et Marcel apprit, lorsqu'il découvrit la présence de justificatifs imprimés en fin de volume, qu'il s'agissait souvent de vélin d'Arches, de vergé de Hollande, ou de papier du japon. Ces noms de lieux et de pays lui faisaient franchir océans, déserts et continents dans une interrogation sur la fabrication des précieux feuillets. (p. 42)
Comme souvent, la cour de récréation était plus riche d'expériences que la salle de classe (...)
Mais dans la cour, c'était la vie brute, primitive, la lutte pour conserver un peu de soleil, où les clans se faisaient et se défaisaient en un clin d'œil, laissant quelques victimes à terre, où de subtiles guerres miniatures se menaient déjà pour le pouvoir, les territoires et les femmes. La vie qui jaillissait de terre comme une gerbe, dont la force brûlante éclaboussait les maladroits, les faibles et les naïfs. (p. 49)
Un bain de livres...De découverte en découverte, faire pivoter leur dos tourné, leur faire face, les rencontrer et peu à peu les apprivoiser, les transformer en amis parfois proches, se laisser conter ce qu'ils ont à dire, les refermer puis les reprendre peu après, respirer leur odeur, les aimer ! C'est indiscutablement dans ces nids de poussière, sous le regard bienveillant d'une grand-mère qui avait monté la garde auprès d'eux, passé intouché depuis des lustres, qu'il apprit à connaître ces personnages figés dans les bibliothèques depuis l'instant où une main négligente les y avait posés, attendant leur heure et leur prince charmant. (p. 46)
Il y avait cependant la possibilité d'une mise en harmonie: c'était par les livres rares, que Marcel commençait à réunir à partir des petites emplettes que sa grand-mère lui avait permises dans les bibliothèques du boulevard Raspail, il ne le réalisa pas à cette époque, mais ces livres furent alors un ingénieux moyen d'équilibrer une vie scindée, écartelée et brisée entre ses parents. (p. 129)
ce n'était pas tout, cette mise en commun de ses parents en guerre que Marcel pouvait accomplir à travers la constitution de sa collection était aussi le germe de sa propre individualité et de sa personne (...) Ces livres représentaient beaucoup de ce qu'il était lui-même, sans interférence possible de ses parents, car ils n'intéressaient guère ni son père ni sa mère. Marcel s'y retrouvait en son jardin secret, où il pouvait faire vivre côte à côte, en douceur, et même s'unir l'un à l'autre, ses parents, que la réalité avait séparés dans la douleur et la violence alimentés par une vengeance sans fin dévalant comme un tombereau la pente de la haine. (p.130)