Les années lumière de Jeanloup Sieff
Édouard Boubat
Pourquoi faites-vous de la photographie?
Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi?
Parce que j'aime la magie. IMAGE=MAGIE.
"Comment la foi vous est elle venue ?" demanda-t-on un jour à André Frossard, l'écrivain-journaliste chrétien. "En entrant dans une église" fut sa réponse désarmante, et il ajouta : "Heureusement, je ne suis pas entré dans une gare, je serais probablement devenu conducteur de train!" Comme quoi les destins les plus définitifs peuvent avoir les causes les plus improbables.
"Pourquoi faites vous des photographies ?" m'a-t-on souvent, trop souvent, demandé.
"Parce qu'on m'a donné un appareil photographique" était ma réponse franche et naïve. Et c'est vrai que, si je n'avais pas reçu en cadeau d'anniversaire pour mes quatorze ou quinze ans un Photax de plastique noir, je serai peut-être devenu comédien, cinéaste, écrivain ou gigolo (rêve, hélas impossible, longtemps partagé avec Tristan Bernard!).
Mais, aux questions simples, il faut éviter les réponses trop évidentes, car on risque fort de ne pas être pris au sérieux.
Le Flore étant fermé pour les vacances, je me retrouve à la terrasse des Deux Magots. Je vis, avec toutes les femmes qui passent, des amours complètes et brèves.
Quand je les aperçois, au loin, et que leur silhouette me plaît, c'est immédiatement le début de notre idylle. Plus elles s'approchent, et plus je les aime. À dix mètres, c'est la passion, à six, la jalousie douloureuse, à quatre, je n'en puis plus, ce sont déjà les déchirements de la rupture, et lorsqu'elles me croisent, enfin délivré et détendu, je peux leur sourire calmement, elles sont devenues des amies, et nous pouvons échanger le clin d'oeil complice de ceux qui ont partagé bien des choses ensemble et qui se souviennent.
Mardi 15 février
Paris est gris sale, des milliers de gens marchent dans les rues, mal réveillés, le regard éteint fixé sur la portion de trottoir juste devant eux, la tête ailleurs. Un taxi nous conduit vers Orly et la liberté; depuis des semaines nous ne pensions qu'à ce moment, qu'à cette fuite. Depuis des années je ne pensais qu'à cet endroit improbable dont le seul nom me faisait divaguer : la Vallée de la Mort.
Mes images sont des souvenirs imaginaires vus dans un miroir sans tain. Au-delà du miroir qu'y a-t-il ? Un autre miroir probablement, qui nous renvoie à d'autres images.
La photographie, c'est comme la corrida, il y a le côté ombre et le côté soleil. la lumière c'est pour le sujet photographié, la pénombre pour le photographe, mais le risque est le même des deux côtés! Les puristes distinguent, toujours cette manie de faire des classifications, la photographie " prise " de la photographie "faite " ; moi, je pense que toutes les photographies sont faites...
La lumière est un transport d'énergie qui se fait " par petits paquets " : les quanta.
J'aime les pessimistes gais.