Mukhtar Mai - Oslo Freedom Forum 2010
Une femme, ici, n'a pas de terre sous ses pieds.Quand elle vit chez ses parents, elle participe à tout ce que ses parents veulent. Une fois chez son mari, elle fait tout ce qu'il lui ordonne de faire. Lorsque ses enfants sont grands, ce sont les fils qui prennent le relais, elle leur appartient de la même façon. Mon honneur est de m'être libérée de cette soumission. Libérée d'un mari, et, comme je n'ai pas d'enfants, il me reste à relever l'honneur de m'occuper de ceux des autres.
Dire sa douleur, un secret que l'on croit honteux, libère l'esprit et le corps. Je ne le savais pas.
Me voilà assise par terre dans une pièce vide, en compagnie d'autres personnes que je ne connais pas. J'ignore totalement ce que je fais là, ce qui m'attend, et personne ne vient me chercher pour m'interroger.
Et comme personne ne me parle, ou ne m'explique quoi que ce soit, j'ai le temps de réfléchir à la manière dont on traite les femmes. Les hommes savent, nous n'avons quà nous taire et attendre. Pourquoi nous informer? Ce sont eux qui décident, règnent, agissent, jugent. Je pense aux chèvres que l'on attache dans la cour, pour qu'elles ne divaguent pas dans la nature. Je ne compte pas plus qu'une chèvre, ici, même si je n'ai pas de corde au cou.
Il est impossible d'inculper une famille influente dans ce qu'elle considère comme une affaire de village, surtout si une femme en est victime. La plupart du temps, la police coopère avec le coupable, qu'elle ne juge pas comme tel. Une femme n'est qu'un objet d'échange, de la naissance au mariage. Selon la coutume, elle n'a aucun droit. J'ai été élevée de la sorte, et jamais personne ne m'a dit qu'il y avait au Pakistan une constitution, des lois, des droits inscrits dans un livre. Je n'ai jamais vu d'avocat ni de juge. Cette justice officielle m'est totalement inconnue, réservée aux gens éduqués et riches.
Si la femme est l'honneur de l'homme, pourquoi veut-il violer ou tuer cet honneur ?
- La moitié des femmes, dans notre pays, subissent des violences. Soit on les marie de force, soit on les viole, soit les hommes s'en servent comme monnaie d'échange. Peut importe ce qu'elles pensent car, pour eux, il ne faut surtout pas qu'elles réfléchissent. Ils refusent qu'elles apprennent à lire et à écrire, qu'elles sachent comment va le monde autour d'elles. C'est pour cela que les femmes illettrées ne peuvent pas se défendre : elles ignorent tout de leurs droits, et on leur dicte leurs propos pour tenter de briser leur révolte. Mais, nous sommes avec toi, courage.
Pour eux, une femme n'est qu'un objet de possession, d'honneur ou de vengeance. Ils l'épousent ou la violent selon leur conception de l'orgueil tribal. Ils savent qu'une femme humiliée de la sorte n'a d'autre recours que le suicide. Ils n'ont même pas besoin de se servir de leurs armes. Le viol la tue. Le viol est l'arme ultime. Il sert à humilier définitivement l'autre clan.
Ils ne craignent ni Dieu, ni diable, ni le mollah. Ils ont la puissance que leur attribue leur caste supérieure. Selon le système tribal, ils décident qui est leur ennemi, qui doit être écrasé, humilié, volé, violé, en toute impunité. Ils s'attaquent aux faibles, et nous sommes les faibles.
Il fallait une décision rapide pour calmer les esprits, les médias et la presse internationale, qui ne se privait pas de critiquer, dans une démocratie, l'absence de droits légitimes pour les femmes, du fait de l'utilisation traditionnelle du système tribal.
C'est à ce moment-là qu'une femme modeste de ma condition se pose des questions. Celle de savoir si j'ai raison de vouloir bousculer l'ordre établi par la tradition tribale.