Le public japonais voyait dans le cinéma une nouvelle forme de théâtre et non pas (comme, disons, les Américains) une nouvelle forme de photographie. Il n'est donc pas surprenant que presque toutes les productions cinématographiques japonaises aient été d'une façon ou d'une autre empruntées au théâtre. Bien que cela ne soit plus vrai de nos jours, le public dans un cinéma japonais se conduit encore pratiquement comme s'il était au théâtre.
La routine émousse; la même chose, sans cesse entendue ou vue, est acceptée - c'est à dire que nous ne la voyons ni ne l'entendons plus. Ce n'est que le neuf, l'inattendu, qui puisse nous atteindre avec quelque chose de sa fraicheur originelle, encore vivant, point encore tué par notre regard sans audace.
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Aller au Japon : aujourd’hui encore, en cet âge de voyages organisés et d’avions gros porteurs, un tel projet a un petit goût d’exotisme. Le pays dans lequel vous vous rendez a quelque chose d’étrange, de différent. Cette différence-là, cet inconnu, vous pouvez le vivre comme un attrait à savourer pleinement ou comme un inconfort à déplorer. Ca ne dépend que de vous. Quoi qu’il en soit, le Japon sait depuis longtemps satisfaire les envies des touristes, toutes tendances confondues: ceux qui souhaitent se frotter à l’étrangeté comme ceux qui désirent y échapper.
C’est ainsi que la grade métamorphose du Japon débuta ; les tout premiers visiteurs du Japon purent contempler le spectacle le plus extraordinaire qui soit dans l’histoire de l’humanité : celui d’une culture qui se transforme délibérément sur le modèle d’une autre. C’était une collision culturelle comme le monde n’en avait encore jamais connue.
L'incessante surprise du voyage - cet état d’excitation qui vous met dans l'état de comprendre à tout moment quelque chose dont nous ne sommes, chez nous, capables de faire l'expérience qu'une fois par mois. La nourriture surprend, l'architecture surprend, les gens surprennent. Rien n'est semblable à ce qu'il est au pays, qu'il qu'il soit. la curiosité devient, en quelque sorte, une nouvelle façon de voir, d'entendre, de sentir. Pour peu, cependant, que nous n'interprétions pas la différence comme une menace.
Nous arpentons des rues nouvelles, tout ouïe et toute vision, enregistrant ce que nous ne remarquerions pas chez nous, où tout est déjà en mémoire. Nous voyons mieux, entendons mieux; notre attention est sans cesse éveillée; le retour à la routine retardé. Nous pouvons y retomber - parcourant pour la deuxième fois une rue inconnue, par exemple - mais pour le moment, nous sommes débarrassés du vieux moi, habitons le nouveau.
Plus on est capable de quitter son foyer culturel, disait Edward Said, plus on est en mesure de le juger, de même que le reste du monde, avec le détachement spirituel et la générosité requis par une vraie vision. Il est de même plus facile de s'estimer d'en faire autant avec les cultures étrangères, avec ce mélange d'intimité et de distance.
Jusqu'au plaisir de se perdre. Chez nous, ce serait chose horrible, plongée dans l'absurdité. A l'étranger, se perdre est presque inévitable et même désirable. Je vagabonde d'une route exotique à l'autre et me rends peu à peu compte que, enchanté par les scènes nouvelles à chaque coin de rue, je ne sais plus comment renter.
La routine émousse; la même chose, sans cesse entendue ou vue, est acceptée - c'est à dire que nous ne la voyons ni ne l'entendons plus. Ce n'est que le neuf, l'inattendu, qui puisse nous atteindre avec quelque chose de sa fraicheur originelle, encore vivant, point encore tué par notre regard sans audace.
L'exotique, par définition, est l'inconnu. Il nous faut l'apprendre. Si bien que tout voyage est une recherche de la connaissance, tout récit de voyage un Bildungsroman. On est ce qu'on apprend et cet enseignement s'applique à deux choses - le lieu ou l'on se trouve, la personne que l'on est.