Diplômée du Master de création littéraire du Havre, Camille Reynaud présente son premier roman, "Et par endroits ça fait des noeuds" (éditions Autrement), et en lit un extrait.
En 1939, après la mobilisation, je me souviens du "vin chaud du soldat". C'était une campagne nationale. On buvait un coup à la santé des soldats. On vendait des timbres pour le "vin chaud du soldat" et il y avait des messages à la radio pour nous encourager à soutenir nos troupes.
(Jean Tougne - Une enfance ordinaire dans des circonstances exceptionnelles).
J'allais à l'école et, comme tous les enfants de l'époque, j'ai chanté "Maréchal, nous voilà" devant le drapeau français qui était hissé chaque matin. Nous avons écrit au maréchal, et je lui ai envoyé un dessin. Pour nous remercier, il nous a adressé un portrait de lui que j'ai immédiatement accroché à côté du crucifix qui ornait le mur au-dessus de mon lit.
Quand mon père est rentré en 1943 et qu'il a vu ça, il a violemment déchiré le portrait du maréchal.
J'ai pensé qu'il était malade. Mais j'ai compris, ensuite, qu'il n'avait pas perdu la tête, même si, en captivité, il avait fini par avoir un ulcère à l'estomac !
(Guy Moreau - Les copains d'abord).
Dans ce climat, dans le ciel, si on peut dire, de cette relation sans faille, entre tous et chacun, plus délicieuse paraît, en sa tendre chair blanche, la baudroie. Plus proche de vous et rayonnante et gaie, innocente même, la chère mayonnaise, remontée de notre enfance. Et ce vin blanc, qu'on a versé délicatement, brille lui aussi, dans les verres, d'un éclat particulier. Alors, tout en mangeant avec un très grand plaisir — un plaisir tout intérieur, infiniment subtil —, on mâche avec lenteur et retenue. Comme pour ne pas déranger l'ordre du silence qui se fait par moments. Ne pas perturber cette grâce, comment dire autrement, qui est venue, non s'installer — une grâce jamais ne s'installe — mais vous visiter. Une présence. Qui, l'instant d'après, peut s'évanouir.
GEORGES HALDAS, Le repas du soir.
Nous sommes allés la voir quand elle a été embarquée à Drancy. J'ai pu l'embrasser encore, mais mon père a dû rester sur le trottoir comme un simple badaud. Ils ont échangé un regard. Ils étaient plusieurs à partir dans le panier à salade : comme elle et mon père, ces personnes devaient être recherchées depuis la rafle. Ma tante nous a ensuite emmenés à Drancy.
Il y avait un café en face du centre de détention, et, depuis le premier étage de ce bistrot, on pouvait apercevoir les prisonniers. Nous étions loin, mais nous nous sommes aperçus.
Quelques temps plus tard, mon père a reçu une carte. Maman ne savait pas écrire. Elle avait probablement demandé à quelqu'un d'écrire ces quelques mots : " Cher mari, chers enfants, je vais bien, nous partons pour une destinations inconnue..."
Elle a quitté Drancy le 24 août 1942, dans le convoi n°23. Elle est arrivée le 26 août à Auschwitz et a été immédiatement gazée avec mille cent autres personnes. Quatre-vingt-douze hommes furent laissés en vie, et, en 1945, trois survivants seulement de ce convoi n°23 rentrèrent en France.
(Lucien Zlotowski - Oublier le pire, cultiver le meilleur)
Le fils du boulanger de Raust était milicien. Il avait dû tremper dans l'histoire de la ferme. En représailles, le groupe a fait exploser le four de son père, mais nous avons compris plus tard que nous avions puni le père et non le fils.
(Léon Sapir - Le curé, ma mère et un chien...).
Pour l'heure, les juifs étaient à peu près tranquilles, mais, rapidement, les premières lois sont apparues. En octobre 1940, mes parents ont été informés qu'ils devaient se déclarer comme Juifs au commissariat de police. Ils y sont allés comme un seul homme. Ils faisaient ce qu'on leur demandait. Quelques semaines après, nous avions nos étoiles, sauf Maurice, mon frère, qui n'avait pas encore six ans.
Nous ne pouvions plus aller au cinéma, au café, dans les piscines, nous devions prendre le dernier wagon du métro.
Puis les premières rafles ont eu lieu. A partir de ce moment-là, mes parents ont décidé que nous ne porterions plus notre étoile. Mon père avait un ami bijoutier rue de Belleville, un artisan comme lui. Ce dernier connaissait un policier. Il pouvait ainsi prévenir mon père des rafles, et nous avons plusieurs fois quitté la maison pour éviter de nous faire prendre.
(Lucien Zlotowski - Oublier le pire, cultiver le meilleur)
Comme la majorité des Juifs, ma mère était allée se déclarer au commissariat et chercher son étoile jaune.
Je n'en portais pas, car j'avais moins de six ans à cette époque.
Vint le 16 juillet 1942, jour de la grande rafle du Vél'd'Hiv.
(Irène Bibergal - La petite fille du Vél'd'Hiv).
Le 5 mai 1981, Bobby Sands, futur député du Parlement de Westminster, meurt en grève de la faim. Gerry Adams et d'autres responsables de Sinn Féin sont persuadés que l'émotion fantastique soulevée par cet événement peut déboucher sur un renforcement considérable de l'influence républicaine. Naît alors, dans la bouche du porte-parole de Sinn Féin, Danny Morisson, le slogan immédiatement élevé au rang de maxime: "Le fusil dans une main, le bulletin de vote dans l'autre."
Sorj Chalandon
Ma mère a crié. Les "flics" essayaient de la tirer hors de l'appartement. Elle s'accrochait à l'un des pieds du lit. Moi, j'ai été très docile. J'ai pris mes affaires et ma poupée, à tel point que les "flics" ont dit à ma mère : "Voyez votre petite fille...elle est plus raisonnable que vous !"
Ils nous ont alors emmenées au Vél'd'Hiv.
Il parait que nous y sommes allées en bus, mais je ne me souviens plus.
(Irène Bibergal - la petite fille du vél'd'Hiv).
En face de chez nous habitait une famille dont le père était très gai. Il avait dressé un merle à chanter trois ou quatre mesures de La Marseillaise.
L'oiseau finissait par des trilles et, le matin, nous réveillait de la sorte.
Il avait une camionnette à plateau, 10 Cv Citroën, une "Rosalie". Il faisait deux tournées hebdomadaires : une le mardi, et l'autre le vendredi. Tous ces petits commerces, qui aujourd'hui n'existent plus, avaient des étals devant leur porte.
(Jean - trop parler nuit).