Trois poèmes de l'écrivain québécois Pierre Nepveu: Le rêve de l'arpenteur, Mélèze (inédit) et Station Lachine. Trois très beaux moments de poésie.
Je ne vous ai pas vu, dit-elle,
et même dans le cas contraire
vous seriez l’absence même et l’oubli,
je ne saurais que faire de votre corps
d’homme que la vie a ménagé,
je marcherais à travers vos épaules
à peine plus denses qu’un nuage
je frôlerais vos anges comme on va
pieds nus près d’un lit de duvet
sans rien connaître du désir ni de la mort
ni de rages qui parfois nous emportent
contre un visage fermé, un torse dur.
Je saurais que vous êtes ailleurs.
Je l’ai crue de passage, simple
comme la déclaration de paix du sommeil,
innocente comme les mains vides
de quiconque s’abandonne aux rêves
et ne respire plus le vent réel
mais l’air immense des altitudes invisibles,
je l’ai crue muette et immobile,
tranquille dans son aller-simple
et son corps déjà imprégné par instinct
d’une odeur de déjeuner, d’une caresse
de draps laissés en friche,
mais elle me tire vers les étages de la nuit
elle pense en moi une réalité plus nue
sous les néons de l’hébétude
dans une ville désincarnée, pur squelette
privé de terre et qui pourrait aussi bien
être couché dans le ciel ou sur la mer
comme un jeu de balises pour des navires absents.
J'ai rapporté des cailloux dans une boîte,
leur durée sidérale pour notre temps bref.
Je les conserve à portée de vie
en tournant le dos aux révolutions,
vieilles pourvoyeuses d'âme,
mais les cailloux ne parlent que de l'eau
qui a coulé sur eux en montagne,
ils épellent le bruit le mot toujours
qui est le mot le moins humain qui soit
et le plus cruel, et le plus étranger.
La maison s’est vidée de tout,
de moi, de mes lubies, de mes livres,
je dors un jour entier dans la cour arrière,
roulé en boule au coin de la clôture,
j’entends les écureuils qui passent
à deux pas de mes yeux fermés,
j’ai des fourmis dans mon réveil,
j’entends au loin mugir ton séchoir à cheveux,
je me demande où tu vas sortir ce soir
et si tu n’es pas plus philosophe que moi
qui crois que l’intérieur
est plus grand que le dehors.