![]() | JML38 le 06 novembre 2020 Une vie de roman – Page suivante Marie se dépêcha de boucler un dernier dossier, pressée qu’elle était de rejoindre la petite dame aux cheveux gris sur le banc. Elle savait son nom depuis la veille : Madeleine, surnommée Mado. Mado était fidèle au poste, toujours comme plongée dans ses souvenirs. Souvenirs que Marie se délectait à l’avance de découvrir un peu plus. - Bonjour Mado. - Bonjour mademoiselle. Vous êtes bien mignonne. - Nous nous sommes parlé hier, vous ne vous souvenez pas ? - Veuillez m’excuser, mais j’ai plus de mal avec mes souvenirs récents qu’avec les anciens. - Ne vous excusez pas. Vous m’avez raconté votre vie dans un cirque, où vous avez travaillé avec Paulo et eu une fille avec Gunther. Puis votre période dans le désert du Maroc, où vous avez vécu avec le père de votre fils, un sultan que vous avez quitté pour un acteur qui vous a lui-même abandonnée pour une aviatrice australienne, lorsqu’il s’est passionné pour le pilotage. - Je vous ai raconté tout ça ? J’ai l’impression de m’être un peu embrouillée dans la dernière partie. C’était moi la passionnée de pilotage. J’ai passé la licence pendant les périodes où Sean était en tournage. J’ai rencontré Maryse Bastié, avec qui je suis devenue très amie. On ne s’est pas quittées jusqu’au terrible drame du meeting aérien de Bron. De parler d’elle, j’ai les larmes aux yeux. - Je suis désolée, je ne voudrais pas raviver trop de mauvais souvenirs. - Ce n’est rien. J’aime bien raconter. Même si cela peut parfois être douloureux. Entre Sean et moi, l’amour fou n’a pas duré longtemps. Son côté cavaleur m’a rapidement exaspérée. Il faut dire que nous vivions au rythme de nombreuses soirées, au cours desquelles nous faisions de multiples rencontres. Sean ne savait pas résister aux avances de jolies groupies. C’est à cette époque que j’ai rencontré quelques jeunes gens qui allaient écrire une page importante de l’histoire de la musique. Mick, le chanteur, a succombé à mes charmes, et ne m’a pas laissée indifférente. - Mick ? Jagger ? - Évidemment, le seul, l’unique. Marie en resta comme deux ronds de flan. L’histoire de Madeleine prenait d’un coup une autre dimension. Une aventure amoureuse avec Mick Jagger ! Soit la petite dame avait eu une vie hors du commun, soit son imagination ne connaissait aucune limite ni barrière. - J’avoue que c’est ma période préférée. Tous ces artistes qui venaient à la maison. Le son omniprésent des guitares, l’alcool coulant à flot, la fumée odorante et envahissante des cigarettes. Je me souviens surtout de Jimi, un noir américain, qui a connu la gloire et une fin tragique. Une étoile filante, qui m’a fait beaucoup pleurer en s’éteignant. Il y avait également Eric, une voix en or. - Eric Clapton ? - Non. Eric Burdon. Mado se mit à fredonner : « There is a house in New Orleans, They call the Rising Sun... ». Marie dut faire appel à ses souvenirs d’une époque musicale peu connue de sa génération. Eric Burdon : le chanteur du groupe « The animals ». La chanson : House of the rising sun, devenue Le pénitencier de Johnny Hallyday, ce que fit remarquer la jeune femme à son aînée. - Le petit Jean-Philippe, un brave garçon, et quel coffre ! Je ne l’ai pas souvent croisé. La fille et la petite-fille de Mado les rejoignirent comme la veille, pour signifier à la mamie qu’il était temps de rentrer à la maison. - Est-ce que je peux rester un peu avec Marie ? demanda la gamine. - D’accord, le temps que je fasse un tour du parc avec maman, si cela ne dérange pas Marie, bien sûr. - Non non, ne vous en faites pas. L’enfant attendit que les adultes ne soient plus à portée de voix, pour sortir d’un sac une jolie boîte en marqueterie, qu’elle tendit à sa nouvelle amie. - Regarde ! C’est ma boîte à trésors. Il y a des choses que m’a données Mamie, en me faisant promettre de ne pas les montrer à maman. Tu me la rendras plus tard. Tu sais, ma mamie... elle a un petit problème dans la tête. Elle oublie ou mélange les choses. Zézémère ça s’appelle. - Tu as surtout une bien gentille grand-mère, qui raconte de belles histoires. - Allez ma puce, on y va. Mamie est fatiguée. Dis au revoir à Marie. - Au revoir Marie. Moi c’est Camille. J’aurais d’autres choses à te montrer, ajouta tout bas la petite fille, d’un air mutin assorti d’un énorme clin d’œil. Madeleine fit un sourire à la jeune femme en lui souhaitant une bonne soirée. - J’espère vous revoir. Je ne vous ai toujours pas parlé de mon bel explorateur perdu sur la banquise. Je ne sais pas pourquoi j’oublie tout le temps. Peut-être pour être certaine que je sois bien au rendez-vous, se dit Marie, avant de se reprocher de prêter une intention aussi malicieuse à la petite dame aux cheveux gris. Marie décida d’ouvrir la boîte à trésors sans tarder. Elle contenait quelques photos. Sur la plupart, elle reconnut Camille, sa mère, Madeleine, et un homme qui devait être le père de l’enfant. Puis son regard s’arrêta sur un cliché. Le photographe avait saisi l’instant où un couple de trapézistes saluait son public du haut d’un chapiteau de cirque. Une jeune femme toute menue dont la beauté irradiait, et un athlète aux muscles impressionnants. Au dos, une date, et ces quelques mots : « Avec Paulo, partenaire et complice ». Une autre représentait une femme posant devant un petit avion de tourisme. Au fond de la boîte, un médiator signé par un illustre rocker. Marie savait, bien que ne travaillant pas le samedi, qu'elle serait à l’heure le lendemain pour retrouver Madeleine sur son banc. |