| Lilydepp le 23 décembre 2020 Le temps d'un rêve.
Depuis des années, Hélène se comportait en épouse parfaite. Elle nettoyait la maison de fond en comble, rangeait ce qui trainait sans sourciller, lessivait et repassait avec soin, dressait sa table avec une minutie d’antan, un peu comme on conçoit une œuvre d’art. Chaque jour, elle mettait sa créativité au service des fourneaux. Elle cuisinait des plats sains, variés, savoureux et adaptés au régime strict de son époux, bien qu’il demeurât aveugle à cette attention.
Le soir, son mari rentrait de son travail, usé, complètement éreinté. Sans accorder ni regard, ni reconnaissance pour tout ce qu’elle avait accompli dans la journée, il se vautrait dans le fauteuil, étendait ses jambes et exhibait ses pieds malodorants. Edgard se perdait alors devant le petit écran, silencieux, concentré. Souvent, Hélène tolérait les humeurs, les complaintes, les ordres lancés depuis le canapé, les colères qui en réalité ne lui était pas adressées. Elle supportait, lèvres closes, dents serrées. Dieu stipulait : « pour le meilleur et pour le pire ». Mais jamais ce dernier ne se serait montré si cruel. La perfidie provenait des hommes, qui dictaient les lois, les conduites, les obligations et les serments. Le visage du Seigneur déguisait simplement le tout. Derrière ses gestes, sa quiétude, son stoïcisme absolu ou encore ses sourires contrits, une motivation singulière l’habitait. En réalité, Hélène comptait les heures qui la séparait de la nuit. Quand le soir finissait par arriver, une ultime épreuve l’attendait. Muette, obéissante, elle exécutait ses devoirs conjugaux. L’étreinte était rude, mécanique, dépourvue de passion et de tendresse. Leurs regards ne se croisaient pas, leurs lèvres ne se frôlaient pas, leurs mains ne s’enlaçaient pas. Edgard la prenait dans un acte aussi primitif qu’animal. Besogne accomplie, Hélène se retournait, patientait. Les premiers ronflements sonnaient le glas de son quotidien gris. Alors enfin, depuis le creux de ses draps, le monde lui appartenait. Hélène rêvait, l’esprit ouvert. Elle chassait le sommeil, soucieuse d’éviter les aux hasards du subconscient. Le temps d’un songe, elle remodelait sa vie, façonnait son destin. Elle se revoyait sur la plage cet été-là. Au lieu d’accepter la demande d’Edgard, elle suivait son intuition, poursuivait ses études à l’académie des Beaux Arts. Son talent, perceptible, ne laissait personne indifférent. Il suscitait enthousiasme, extase, parfois jalousie profonde et manifeste. Hélène se livrait à sa passion, redessinait le monde derrière son pinceau. Un professeur, raffiné et élégant la complimentait, fasciné par sa créativité. Entre eux, une tension palpable s’installait. Voix inhalée, il l’invitait à rester après la classe, pour discuter de ses travaux. En un geste, une pulsion, Hélène devenait sa muse. Les mains fébriles du professeur crayonnaient, peignaient, nuançaient son corps. Ses lèvres embrasaient sa peau frémissante. Au creux de cette étreinte, elle gravitait, vivante et éprise. Insatiables, complètement fous l’un de l’autre, ils recommençaient encore et encore. Tous deux, conscient que le temps leur échappait, se raccrochaient aux minutes, aux secondes volées. Très vite, la rumeur se propageait. La relation prenait fin.
Hélène poursuivait sa vie, forte, déterminée, indépendante. Elle obtenait son diplôme, entamait un voyage inédit. Puis, lasse de poser et déposer ses bagages, elle prenait racine quelque part où le soleil ne ternit jamais. Elle créait sa propre galerie d’art, obtenait gloire et renommée. Un luxe qu’un artiste atteignait rarement de son vivant. Elle s’autorisait la variété, le plaisir sous toutes ses formes. Son lit accueillait un amant différent tous les soirs. Les mœurs avaient changé, les « frasques » n’étaient plus réservées aux hommes désormais. Les femmes devenaient libres d’agir comme elles le souhaitaient, sans se soucier de perdre valeur, réputation ou d’alimenter les ragots. Alors, sereine et grisée de ces instants imaginés, Hélène cédait à Morphée. Le lendemain, la réalité reprendrait ses droits. Mais pour l’heure, cette femme dévouée s’abandonnait à un repos bien mérité.
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