| Yemanya le 07 janvier 2021
Show time
I Génial, il ne manquait plus que ça, mais pourquoi j'ai postulé dans cette boîte, moi ? Il va bien falloir que je trouve ce qui me repousse le moins dans cette liste, maintenant.
J'avoue que, quand je suis venue passer mon entretien, le côté start-up moderne, prônant le bien-être au travail m'a plu. Le clou de la visite de la boîte, assez futile, je le concède, a été la salle de repos et ses poufs couleur pomme ou framboise, les tables et tabourets design... Je me voyais totalement passer les pauses repas lovée dans un pouf, moi !
Mais j'étais loin de penser que je devrai subir des stages obligatoires pour atteindre le nirvana du bien-être professionnel. Je le découvre aujourd'hui, après un mois à mon nouveau poste, devant cette affichette sur le tableau des communications du service RH (relations humaines) :
« Découvrez votre potentiel artistique en vous inscrivant à un des stages proposés ci-dessous (*les personnes non inscrites se verront intégrées dans un des groupes selon les places restantes) peinture chant orchestre (nécessité de maîtriser un instrument) théâtre
Pas de panique, procédons par élimination . Je suis incapable de faire un quelconque dessin, alors, maîtriser un pinceau relève de l'utopie, je passe. Chanter a toujours été pour moi une humiliation et j'ai encore le cuisant souvenir de mes cours de musique au collège et des rires de mes soi-disant camarades de classe, je passe. Orchestre : je n'ai jamais touché un instrument de musique, donc oublions. Reste le théâtre, je trouve ça idiot au possible de jouer un personnage devant tout le monde... Mais c'est un moindre mal par rapport aux autres projets. Je pourrais peut-être jouer un mini rôle ou me faire oublier ?
II premier jour du stage, il faut se présenter, et c'est mon tour : Huguette, 26 ans, je suis dans l'entreprise depuis un mois et mes passions sont... euh... la lecture ? Ça commence fort, comme d'habitude dès que je donne mon prénom : oui, je m'appelle Huguette. Je suis née dans les années où fleurissaient les Cindy, Jennifer et autres Pamela mais mes parents étaient d'une autre trempe, ou d'un autre temps : ils ont décidé de me donner le prénom de mon arrière-grand-mère. J'ai peut-être eu de la chance, mon frère s'appelle Hyacinthe et il a vingt ans.
Passons à la suite du stage : vous êtes un animal, vivez-le. Autour de moi se dresse une girafe, se pouillent deux gorilles et... Mais, il fait quoi lui ? Un chat se frotte à ma jambe. Espérons qu'il ne se transforme pas en chien en rut. J'essaie de faire une trompe avec mon bras pour faire l'éléphant : - pas assez réel, Huguette ! Tu es un éléphant, ressent l'air par ta trompe, le vent dans tes grandes oreilles ! - Non, mais, on a l'air de quoi ?
Jour 2. La journée d'hier m'a épuisée, je n'ai jamais aussi bien dormi ! La suite du programme est annoncée : nous devons mimer un sentiment. Alors, mon chat d'hier pleure tout son saoul, et les gorilles rient au éclats, c'est communicatif et je me sens sourire malgré moi. - Bien, me dit le professeur, discret, mais on ressent ton plaisir, laisse-toi aller. Et bien pourquoi pas ? Et je me surprends à sourire béatement à tous ces visages mimant la joie, la peur, la haine et franchement, ça fait du bien.
Jour 3. Je quitte mon poste pour mon cours, impatiente : mince alors, je commence à aimer ça ! Pour cette séance, on passe aux choses sérieuses, nous avons une petite scène à lire, puis les rôles seront distribués et nous devrons à l'apprendre pour demain... Je joue tour à tour une servante, une amoureuse et une mégère. Je suis très intimidée au début et ma servante est carrément une nunuche, l'amoureuse est un peu plus convaincante -elle l'aurait été davantage si l'objet de son amour avait été le comptable assez beau gosse plutôt que l'homme d'un âge très mur que l'on m'a attribuée. Pour la mégère, là, je dois avouer que je me suis fait plaisir et d'ailleurs, j'ai eu le rôle ! Je n'aurais jamais cru être bonne dans quelque chose, j'hallucine. Je rentre chez moi d'un pas léger, en essayant de retenir des bribes de mon dialogue.
III J'ai le trac. C'est le grand jour, celui où chaque atelier doit montrer ce qu'il a fait : les peintres ont exposé dans les couloirs, les chanteurs et musiciens se massent dans l'entrée pour nous accueillir et nous, les acteurs, nous allons nous produire dans la salle de repos.
Quand j'arrive, avec mes habits de scène dans mon sac, je suis happée par la musique en passant la porte, c'est magnifique ! Ce ne sont que des amateurs, mais l'ensemble donne la chair de poule et les chanteurs forment un ensemble vraiment bon. La musique me suit alors que je découvre les œuvres des peintres. Noon, c'est la petite timide du secrétariat qui a dessiné ce nu d'homme ? Mais quels détails dans cette composition florale ! Je tourne la tête de tous côtés et suis surprise par le talent de mes collègues.
Dans la salle de repos, c'est le branle-bas de combat. - Dépêche-toi Huguette, représentation dans quinze minutes ! A peine le temps de me dire que j'ai peur, j'enfile la robe, je laisse Theresa me maquiller et je dois entrer en scène. Je me sens sur une autre planète.
Je déclame mon texte, je m'amuse comme une folle dans ce rôle de mégère, je suis la mégère ! La dernière scène se termine, je sens la sueur perler à mon front et je respire un peu fort. Mon partenaire me regarde en souriant et nous entendons retentir les applaudissements. Je suis bien, mieux que je n'ai jamais été, je me tourne vers le public et donne la main aux autres acteurs pour le salut final. Je me sens vibrer, je me sens vivre, maintenant j'ai une passion.
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