AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet



    charlene_bzh le 12 août 2021
    Un sourire, une caresse, un regard toujours gravés au fond de moi. C'est si doux et si bon, une rêverie sans fin.

    Un rire, une voix, une chanson fredonnée toujours enregistrées dans le creux de mon oreille. Le vent qui m'apporte l'écho de notre bonheur.

    Des odeurs, des parfums si caractéristiques qui me rappellent toi, toujours inscrit ici dans mon coeur.

    Ce cahier je l'ouvre et une bouffée de nostalgie m'envahit. Ma mémoire retrouve une seconde jeunesse et je me perds entre rêve et réalité. Qu'est-ce qui a vraiment existé ? La vérité est-elle celle que j'entrevoie dans mes bribes de souvenirs ou celle que l'on me raconte ? Je laisse planer le doute, chacun sa véracité.

    Je regarde le livre de photos que l'on m'a apporté. Elles sont les témoins d'une vie. Notre vie. Ma vie. Toutes autant qu'elles sont, j'ai parfois des difficultés à les identifier. Ces moments fixés sur papier glacé ne me disent rien. Alors que le son du percolateur du café d'en bas m'en raconte bien plus. Le basilic du jardin commun me rappelle nos étés.

    Ces souvenirs sont consignés dans ma mémoire. Je les trace sur ce cahier pour ne pas les oublier. Ma mémoire me fait défaut désormais et toutes réminiscences deviennent plus chaotiques. Ce n'est pas grave. Un jour, nous serons à nouveau réunis et nous rirons de tout cela en nous embrassant. Comme avant. Car une chose dont je suis sûre, c'est que nous nous aimions vraiment.
    Pippolin le 13 août 2021
    Souvenirs de voyages


    1-Turquie


    Hier soir nous avons entendu la chanson mélancolique de Doga Için çal et nous nous sommes retrouvés dans une auberge à l’ambiance de refuge montagnard, attablés au milieu de gens de bonne compagnie.
    Nous nous apprêtions à écouter nos guides, devenus nos amis pour une douzaine de jours, nous parler de la Turquie et de son histoire. Un Kangal étalait son immense carcasse sur la terrasse. La nuit était pleine du crissement des cigales. Nous avions encore tous dans la tête et sur les chaussures la couleur de ce sentier de terre battue qui descendait vers la mer, paressant au milieu des oliviers et des pins parasols, des bouquets de sauge, d’euphorbe et d’asphodèles, se faufilant sous les branches des caroubiers ou frôlant des rochers ridés comme de la peau d’éléphant. Parfois, émergeant d’un tas de vielles pierres,  des sarcophages multiséculaires épargnés par les séismes ou les guerriers du Passé semblaient surveiller l’horizon.  Des armées de lauriers roses nous avaient signalé le lit asséché d’un torrent. Nous l’avions suivi jusqu’à ce qu’il disparaisse au fond d’une crique où un caïque nous attendait. Nous étions montés à bord, pour aller nager en pleine mer, près de deux ilots baignés par des eaux turquoises.  Intriguées par nos cris ou peut-être désireuses d’être admirées, des tortues marines s’étaient approchées, sortant de l’eau leur tête d’animal préhistorique puis étaient reparties, d’une brasse fluide à la grâce insoupçonnée. Les épaules nues, imprégnées de soleil et de sel, nous avions déjeuné de mezzés, accompagnés de tomates joufflues, de concombres juteux, de feta et de boulettes de viandes grillées à point. Un thé, une pâtisserie et nous étions retournés plonger dans les vagues, joyeux comme des enfants à la récré. Au retour, nous arrêtant seulement pour cueillir des figues, nous avions gravi un raidillon à un rythme soutenu comme si nous avions voulu avaler le Mont Olympe. Le soleil apparaissait en pointillé, brillant comme des écailles de vif-argent dans la lumière tamisée des bois. Repus par la baignade et les efforts physiques d’une journée dense, nous avions terminé la marche par petits groupes de deux ou trois, évoquant d’une voix feutrée des souvenirs et des projets de voyages, à Oman, en Equateur, au Maroc, à Bali au Laos ou aux Lofoten. Le ciel mordoré bordait d’ombres riches de légendes les remparts de la forteresse de Simena que nous parlions encore, des étoiles pleins les yeux, d’Istanbul et des merveilles qui nous y attendaient… Oui, elle était bien belle, cette côte Lycienne, si belle qu’il se raconte que les Dieux de la Mythologie s’y sont arrêtés pour s’y aimer. Les Dieux ne se montrent plus aujourd’hui. Mais il est encore possible d’y voir des anges fouler le sable des plages Lyciennes de leurs pieds menus.
    Pippolin le 13 août 2021
    Souvenirs de voyages


    2-Burkina Faso


    Nous voilà rentrés sains et saufs de notre voyage au Burkina Faso. Contrairement aux prévisions,  nous n’avons été ni pris en otage, ni détroussés au bord d’un chemin.  Et nous nous sommes déplacés dans une grande capitale africaine à la nuit tombée, chargés de sacs de voyage, sans être agressés ni même importunés. Nous n’avons pas vu de visages hostiles ou menaçants mais des nuées d’enfants joyeux qui courraient vers nous, pieds nus et vêtus de haillons, les yeux brillants, des africaines au port de reines qui, le fardeau sur la tête, nous saluaient d’un gentil sourire, des vieillards édentés, vénérables chefs de village, qui, à l’ombre d’un manguier ou d’un anacardier, nous souhaitaient le bonjour. D’un côté et de l’autre de la frontière avec le Mali, les écoliers, redevenus graves, ont chanté l’hymne national en notre honneur et, deux soirs de suite, les jeunes ont élargi le cercle pour nous inviter à danser au son des tambours et des balafons. « Bonne arrivée » nous disaient les passants. Si nous n’avions eu tant de route à faire, nous nous serions volontiers attablés avec eux dans un maquis sans prétention - « Chez Tranquille », par exemple.  Les bêtes dites féroces – crocodiles, hippopotames -, préféraient flemmarder au soleil ou dans l’eau paisible d’un lac plutôt que nous avaler tout cru. Les geckos, peureux, filaient sitôt que nous apparaissions. Il n’y avait finalement que les moustiques et leur dard contaminé pour nous inquiéter et encore, seulement à Ouagadougou. 

    Depuis notre retour, nos nuits sont colorées de l'ocre des cases, du rouge des pistes en latérite et du bleu du ciel et peuplées de bronzes filiformes, de masques de guerre et de statues au regard indéchiffrable sculptées par des féticheurs inspirés.  

    Notre voyage au Pays des Hommes Intègres a foulé au pied les préjugés colportés par les médias et les esprits chagrins. Il nous a coupé le souffle, renvoyé dans les cordes. Nous en revenons avec la sensation d'avoir découvert un continent inconnu, un monde éloigné du notre et de tout ce que nous avions pu voir jusqu'alors.  Nous n’avons plus qu’une envie : retourner en Afrique, là où les ténèbres sont habitées par les anciens et où le soleil cajole les sens quand il ne les écrase pas. Ce sera pour moi l’occasion de revoir Michel, cet enfant du Pays Lobi, cet enfant sérieux qui m’a invité à partager une papaye avec lui et a tenté de m’expliquer comment se débrouiller avec dignité dans le plus grand dénuement. Ce sera lui ou son frère ou un autre enfant comme lui. Je pourrais alors lui dire l’espoir que nous plaçons dans sa réussite et dans celle de tous les individus à son image, ouverts sur le monde et fiers du leur.         

     (voyage effectué en 2014)
    Pippolin le 13 août 2021

    Souvenirs de voyage


    3-Baie d'Authie



    Nous retrouvons Chantal et Christine à Rang du Fliers. Depuis deux ans, nous écumons la Côte d’Opale en leur compagnie. D’abord Le Crotoy et la Baie de Somme puis Quend-Plage, maintenant Berck et la Baie d’Authie. Comme de coutume, lorsque nous sommes avec les frangines, le temps est splendide. Baie d’Authie, pour moi le mot est d’une grand douceur puisqu’il évoque l’Authie, ce bucolique petit fleuve qui traversait le collège de Montalembert à Doullens, où je m’étais retrouvé en pension, l’année de mes 15/16 ans, l’année de la sécheresse. L’Authie, sur laquelle nous rêvions alors de nous évader mon copain Romain, et moi, à bord d’un canot gonflable, tout cela parce que, juste avant une courbe paresseuse, nous avions vu le soleil jouer au gré d’une brise légère au travers de la ramure d’un saule et que ces éclats d’or nous semblaient la promesse d’une vie pleine de musique, de rires, de fin d’après-midi sur des tendres pelouses auprès de filles blondes au corps ambré et au sourire lumineux. Cela évoque aussi Authie, ce  village où de 12 à 14 ans, j’accompagnais mon père et mon frère Stéphane et où nous nous y inventions la vie de paysans. Deux années avaient passé ainsi, chaque dimanche à se lever avant l’aube, printemps, été, automne, hiver, pluies, brumes, gels ou soleil pour prendre la route, voir les yeux encore embués de sommeil, le jour naître sur la campagne engourdie, passer, sans dire un mot, dans ces villages d’une apparente quiétude : Rainneville d’abord, puis le petit Pierregot, le long et sinueux Rubempré, Puchevillers avec sa brutale fourche au pied de l’église grise, Marieux, tout penché, puis après la traversée d’un boqueteau giboyeux et l’escalade du plateau, Authie, niché dans son vallon aux pentes vertes et boisées, aux clairières piquetées de vaches blanches et noires, de percherons roux, à repartir le soir, fourbus et satisfaits, les mains calleuses fleurant bon la vache dans nos habits de champs, avec dans la poche les quinze francs que la fermière nous donnait. Deux années, le dimanche consacré à traire les vaches, charrier les litières fumantes, abreuver les génisses dans les pâtures, moissonner, chasser – notre gibecière resta toujours joyeusement vide… Avec la pendule dans la salle à manger qui sonnait les quarts, le tintinnabulement des bidons de lait,   l’odeur et la lumière dans le silo à grains, la chaleur tranquille de l’étable. Authie, un mot magique, porteur chez moi de rêves et d’heureuses réminiscences… Alors, il me faut parcourir la baie dans son ensemble. Déjà, l’an dernier, nous étions allés à trois reprises de Quend jusqu’à sa partie sud – une trotte ! - à deux Esther et moi, puis avec les frangines en juin, et encore en octobre avec Marie et Franck. Nous y avions goûté ses immensités sauvages. Un marsouin échoué en attestait : nous faisions face au grand large. Le ruisseau qui trainassait entre les peupliers à Authie et s’attardait dans la cour du collège se jetait crânement dans la mer, l’océan même, avec ses horizons lointains, la folle diversité de ses créatures, son tumulte, ses vagues scélérates et ses objets inattendus ballotés durant des milles au caprice des vents et des courants. Sur le versant nord, passé Berck, son immense plage noire de monde et la promenade le long de la digue encombrée comme une rue commerçante une jour de braderie, passée la première anse où les phoques les plus hardis viennent pointer leurs museaux, les dunes s’élèvent, altières, et les humains se font rares, et brusquement, après un nouveau virage, nous sommes à Koh Lanta, sur une plage de l’océan indien ou du Pacifique peut-être, mais plus à quelques kilomètres de Berck. Une forêt de pin Laricio entaillée par une tempête ourle une dune, ouverte comme une cicatrice sur une crique déserte jonchée de coquillages et de carcasses de crabes. Tandis que la marée redescend, nous apercevons au loin des phoques qui se prélassent sur un banc de sable humide encerclé par les flots. L’endroit est si beau que nous ne savons que tourner en rond les bras ballants en répétant au milieu de pieux de bois plantés en arc de cercle : « Comme c’est surprenant !», « Que c’est beau ! C’est incroyable !». Nous n’avons pas encore atteint le fleuve. Il y a toujours un virage à contourner au terme d’une large boucle. Lorsque nous approchons enfin, la peau de notre visage nous tire, agressée par un vent et un soleil vifs. D’une jolie teinte vert sauge, l’Authie est là, paisible, à quelques centaines de mètres, peut-être plus. Un voilier s’attarde dans son embouchure, des goélands et des hérons vont et viennent. En coupant par les dunes et la lande qui la prolonge nous y arrivons.

    L’estuaire s’offre à nous tel que je me plaisais à l’imaginer : à la fois sauvage et intime, avec les bois de pins qui abandonnent le terrain aux mollières, peuplées d’obione, d’oreilles de cochons et de passe-pierres.  Des avocettes chassent sur l’estran non loin de huttes de chasse, répliques des huttes de la Baie de Somme. Et tandis que nous marchons tous les quatre côte à côte, les frangines, Esther et moi, que nous avançons comme quatre minuscules personnages d’un tableau d’Hokusai dans cette baie qui s’évase idéalement et s’ouvre sur l’horizon comme si elle avait été dessinée d’un coup vif par le styliste d’une maison de haute couture, je repense à mon copain Romain, au projet que nous avions faits, ados foufous dans notre cour d’école, de prendre le large en suivant le fil de l’Authie et j’ai envie de lui dire : « Et bien tu vois, Romain, j’ai mis le temps, mais je suis bien arrivé à la mer, comme nous en rêvions. Main dans la main avec une poupée blonde au sourire lumineux ».

     

    mfrance le 13 août 2021
    franceflamboyant a dit :

    Moi aussi j'ai aimé ce texte. Une  histoire qui raconte comment la lassitude et l'incompréhension peuvent torpiller l'amour qui unissait deux êtres....le ton que j'ai trouvé feutré est toujours juste et rend palpable la souffrance de la narratrice.


    merci pour ta lecture attentive
    mfrance le 13 août 2021
    Grâce à toi Pippolin   j'ai gravi "l'Olympe" de la côte lycienne en mangeant des mezzés, puis rencontré les enfants joyeux et les africaines au port de reine du Burkina Faso pour aboutir dans la baie d'Authie avec le balancement des pins !
    Quels beaux voyages, si bien décrits !
    franceflamboyant le 13 août 2021
    Pippolin, vous nous livrez trois beaux textes aux références précises. Une très belle langue pour décrire des univers très différents les uns des autres par leur relief, leur végétation mais aussi leur poids d'humanité. Une très belle surprise que la lecture de vos trois textes. J'avoue un faible pour le dernier...
    Pippolin le 14 août 2021
    Merci mfrance et franceflamboyant pour vos commentaires agréables.
    duprez le 14 août 2021
    bonjour, voici mon poeme:
    " soleil d hiver aux ombres longues
    amour d hiver au souffle court
    rouge désir absence blanche
    ardentes braises, neige glacée
    espérance morte


    bon été
    SarM le 17 août 2021

    La tête posée entre mes mains, j'observe mon kalanchoé. De nouveaux embryons foliaires se sont développés sur les bords des feuilles de la plante grasse. C'est mamie Ge qui me l'a offerte à ma sortie de l'hôpital. Elle a attendu que nous soyons seuls tous les deux pour m'expliquer que chacune des plantules miniatures étaient des clones de la plante mère et que quand elles se décrocheront, elles s'enracineront pour donner de nouvelles plantes. Je me souviens qu'une larme avait roulé sur sa joue fripée avant de tomber au pied du kalanchoé, alors elle avait ri et avait dit : « Je crois qu'il faut l'arroser ! »
    Après mon accident, j'ai dû réapprendre à marcher, à parler et à comprendre ce qu'on me disait mais je n'étais pas triste comme mamie. Je m'en fichais de ne plus savoir faire ces choses-là parce que je ne me rappelais plus les avoir jamais faites... Maman m'emmenait partout où il fallait pour que ma rééducation se passe bien, sauf à la piscine.
    « Hors de question que mon fils mette ne serait-ce qu'un orteil dans l'eau ! » C'est ce qu'elle avait dit au kiné en serrant très fort mon bras ; le bleu y est resté plusieurs jours.

    Le bruit feutré de la porte coulissante me fait sursauter. C'est maman :
    - Mathéo, laisse cette fichue plante et viens. C'est l'heure de tes exercices de mémoire.
    Je la suis en ronchonnant. Je n'aime pas ces exercices, je n'y arrive jamais. Tout est revenu assez vite, mais pas la mémoire...
    Maman fait glisser ses longs doigts sur l'écran de la tablette. Elle a mis ses lunettes, les rondes, celles qui lui glissent toujours sur le bout du nez et qu'elle replace sans arrêt avec son index. Elles lui donnent un air autoritaire. Au milieu du salon, les premiers hologrammes apparaissent.
    - Siri ? Baisse les stores.
    Aussitôt, la pénombre s'installe dans la pièce et les images sont plus nettes. Je vois en taille réelle deux enfants assis côte à côte, un garçon et une fille. Ils ont sur la tête une couronne en carton doré et le garçon tient entre ses doigts luisants de beurre une fève en porcelaine. Il est penché sur la joue de la fillette qui rougit et s'apprête à y déposer un bisou plein de miettes.
    - C'est Léna et moi à la galette des rois de l'école. On était en grande section de maternelle.
    Maman sourit, attendrie. Son index replace ses lunettes sur son nez avant de balayer l'écran de la tablette. L'hologramme des deux enfants se dématérialise et un nouveau se forme. Papa et moi sommes assis sur une pierre rongée par le lichen avec la montagne pour arrière-plan. On prend la pose de ceux qui sont épuisés d'avoir trop marché.
    - Tu te rappelles où nous étions ?
    - A Habère-Poche.
    J'ajoute comme une ritournelle un peu lasse :
    - Je la connais comme ma poche...
    - C'est bien. Je sais que tu n'aimes pas faire ces exercices Mathéo, mais tu vois, avec un peu de patience tes souvenirs vont revenir.
    Mes souvenirs, pas vraiment. En fait, aucune de ces photos n'évoque rien pour moi mais à force de les voir et d'entendre maman me raconter ce qu'elles représentent, je les connais par cœur... En vrai, je ne me rappelle pas de Léna ou de ce que j'ai ressenti quand mes lèvres se sont posées sur sa joue, ni à quoi ressemblait la fève. Je ne me rappelle pas les chemins escarpés, les marmottes surprises et leur drôle de petit cri, les cailloux dans mes chaussures et le soulagement de pouvoir les enlever quand, enfin, on parvient au sommet. Mes plus vieux souvenirs remontent à mon réveil, dans la chambre d'hôpital et depuis, je suis bien attentif à tout ce qui m'entoure, comme ça, je m'en fabrique plein de nouveaux !
    Un autre hologramme prend forme au milieu de la pièce. Tiens, je ne le connais pas celui-là.
    Les pieds dans le sable, je brandis un crabe hors d'un seau rouge, de la même couleur que le short de bain que je porte. J'attends les questions de maman mais elle ne dit rien. Sa voix est bizarre quand elle finit par me parler :
    - C'est bon Mathéo, c'est fini pour aujourd'hui. Tu peux monter dans ta chambre.
    Cool, l'exercice aura duré moins longtemps que d'habitude ! Je monte les marches quatre à quatre. Dans le couloir, je m'arrête devant le grand miroir et soulève mon tee-shirt. Il faut que je vérifie un truc. C'est bien ce qui me semblait... Mon nombril. Sur la photo, au-dessus du short rouge, j'ai bien cru voir qu'il était creux. Je touche mon nombril saillant. J'ai dû rêver.
    Un bruit sourd m'arrache à ma contemplation. Il vient d'en bas.
    - Maman ?
    Je descends comme je suis monté. Elle est par terre !
    - Maman !
    Pourquoi elle ne bouge pas ? Ça doit être son cœur, papa n'arrête pas de dire que je dois être gentil avec elle parce qu'elle a le cœur fragile.
    - Siri ! Appelle les secours !

    Ils m'ont emmené dans l'ambulance mais à l'hôpital ils m'ont dit que je devais attendre mon papa, qu'il allait bientôt arriver. Une gentille dame m'a expliqué qu'ils devaient opérer maman pour lui mettre son nouveau cœur. Elle m'a dit que c'était une chance qu'elle ait prévu une réserve d'organes. Grâce à ça, l'opération se passera bien et il n'y aura aucun risque de rejet. Quand j'ai demandé ce que c'était qu’une réserve d'organes, elle m'a emmené dans une pièce. Tout le long des murs, il y avait des frigos vitrés avec des gens qui dormaient dedans. Ils avaient tous un nombril saillant.
    Fosterkane le 19 août 2021
    En arrivant dans ce petit village de montagne de la vallée de Belleville, je reconnus immédiatement l’église. On pourrait penser qu’elle était semblable à la plupart des églises alentour mais c’est son clocher tors, à la fois rare et singulier, qui raviva mes souvenirs.

    C’était par une belle après-midi de fin d’été et les touristes avaient déserté la station depuis quelques jours déjà. Ce qui nous convenait parfaitement car nous étions, Julien et moi, peu friands de la foule et de l’agitation.

    Profitant de la douceur, nous partîmes nous balader dans cet environnement magique, entre pâturages et montagnes. On apercevait au loin les belles d’Abondance aux robes acajou et on entendait le son de leurs cloches aussi distinctement que si elles étaient dans notre dos.

    Nous longeâmes le ruisseau qui menait à la petite chapelle et je me souvins soudainement du moulin tout proche. Enthousiaste, toute à mes découvertes d’antan, j’emmenai Julien dans ce bel endroit ombragé. Je lui parlai de mon enfance. Je lui narrai mes baignades dans le ruisseau quand, accablée par de fortes chaleurs auxquelles je n’étais pas coutumière, je me prélassais à l’ombre des murs du vieux moulin.

    Il me fixa étrangement. Il semblait à la fois contrarié et amusé.

    « Tu me fais une blague ? En fait, tu connais déjà cet endroit… Tu es venue en vacances quand tu étais enfant ? »

    Je ne l’écoutais pas, perdue dans mes pensées. Je revivais, nostalgique, les instants merveilleux de mon enfance. Je me souvenais de ces heures passées avec mes frères et sœurs. Nous étions une grande fratrie, une famille de sept enfants. Je revoyais le joli visage de ma petite sœur, ses longues boucles dorées. J’entendais encore le rire sonore de mon grand frère, le second, qui était mon préféré.

    Alors que nous redescendîmes vers le village main dans la main, Julien vexé, tel un enfant boudeur, se taisait. Son silence me permettait de faire défiler mentalement d’autres bribes de ma jeunesse. Les terribles hivers quand la neige atteignait plusieurs mètres et bloquait notre porte d’entrée, nous contraignant à rester au chaud quand nos coups de pelles étaient impuissants. Les longues soirées au coin du feu où on se bousculait pour avoir la meilleure place. Les nuits glaciales durant lesquelles on se collait les uns contre les autres pour se réchauffer sous l’épais duvet. Les orages d’été qui déchiraient la montagne et que l’on regardait,  entre crainte et fascination. Mais surtout le silence. Le silence qu’on entendait dans ce paysage encore vierge de remontées mécaniques et de chalets touristiques.

    Au moment de partir, je souhaitai passer par le petit cimetière adossé à l’église. Julien m’accompagna en dépit de sa réticence. Je fis rapidement le tour des quelques allées, entre les vieilles stèles cassées et les fleurs trop rares, lorsque je m’arrêtai devant une dalle érodée par le temps, plus courte que les autres. Sur la plaque émaillée figuraient les noms de trois enfants d’une même fratrie, nés au début du siècle dernier. Je ressenti aussitôt un insondable malaise, bien au-delà de l’inévitable affliction. Alors que les larmes coulaient lentement sur mes joues, j’évoquai à voix haute les noms de ma sœur et de mes frères disparus.

    Julien, livide et inquiet, me secoua et me ramena d’un ton sec à la réalité.

    «Bon sang Nina, reprends-toi ! Tu es fille unique et nous sommes en 2016 ! »

    Il me fallut quelques minutes pour revenir de cet étrange égarement.

    Il me faudra des années pour chasser ces souvenirs qui n’auraient jamais dû ressurgir.
    glegat le 19 août 2021

    Journal d'une famille d'amnésique

    21 juillet 1998

    Voilà, je m’appelle Antoine, j’ai 82 ans et une santé précaire, mais ce qui me préoccupe le plus, c’est ma mémoire déclinante. Elle est chaque jour plus défaillante. Alors, j’ai décidé de tout écrire pour ne rien oublier. C’est terrible, mais la moindre distraction me fait perdre le fil de ce que je fais, j’oublie tout au fur et à mesure. Il m’est difficile d’avoir une activité suivie, aussi j’ai pensé qu’en rédigeant un journal, cela pourrait m’aider. Ah ! le téléphone sonne, je dois répondre…

    22 juillet 2006

    Je retrouve par hasard ce cahier dans un tiroir. Il y a exactement huit ans que j’ai commencé ce journal, je l’avais complètement oublié. Ma santé ne s’arrange pas, j’ai maintenant des problèmes cardiaques et ma mémoire est encore plus délabrée. L’idée de ce journal était excellente, je dois poursuivre et noter tous les événements dans le moindre détail. En ce moment, je suis dans ma cuisine, je regarde par la fenêtre et je vois le facteur. Il rentre dans le jardin, on dirait qu’il a un colis pour moi. Je vais aller à sa rencontre…


    23 Juillet 2010

    Pauvre grand-père, tu n’es plus là et je retrouve ton journal, c’est tellement émouvant. Pourtant je garde très peu de souvenirs de toi. Moi aussi, j’ai des problèmes de mémoire. On vient de me raconter ton histoire, alors pour être certain de ne pas l’oublier, je vais l’écrire dans ce cahier, dès que j’aurai terminé le rangement de la maison…
    Darkhorse le 19 août 2021
    Solamifado : Une bonne manière de détourner un souvenir douloureux que de le relier à un autre beaucoup plus léger !

    valaire : Texte très court et pourtant si terrible...

     
    JML38 : Ce In Memoriam surprend vraiment. Sacrée chute !

    mfrance : Ce retournement de situation fait tout basculer. Quelle détresse...

    Pippolin : Un beau carnet de voyage, plein des richesses de chaque destination. Ça donne envie d'y aller ! 
    Pippolin le 20 août 2021
    Merci Darkhorse !
    JML38 le 20 août 2021
    Merci Darkhorse
    valaire le 20 août 2021
    Merci Darkhorse  pour vos lectures et commentaires.
    mfrance le 20 août 2021
    Merci Darkhorse   et bonne journée
    glegat le 20 août 2021

    La passementière de Belleville (1ère partie)


    La vie laisse toujours des traces. Rien ne disparaît vraiment.

    La découverte d’un objet banal, un article de journal, une photo, un cahier d’écolier peuvent compléter la mosaïque de nos souvenirs et fournir la clé d’un passé qui semblait à jamais enseveli. Ainsi, le destin d’un homme se résume à peu de choses et s’explique souvent par quelques péripéties qui ont ponctué sa vie.

    Le présent n’existe pas puisqu’il est en perpétuel devenir et est trop ténu pour être tangible. Seul le passé a une réalité, une épaisseur. C’est la raison pour laquelle, de toutes les capacités cognitives, la mémoire est sans doute l’une des plus importantes.
    Dans l’enfance et l’adolescence, notre âme s’imprime des sensations et des émotions qui balisent ensuite notre chemin de vie. La jeunesse est le terreau fertile de la mémoire et le passé imprègne le présent comme la pointe du pinceau diffuse sur le papier la couleur d’une aquarelle. Un homme qui a perdu sa mémoire est dans le même désarroi que s’il avait perdu son ombre.

    C’est une petite esquisse au crayon retrouvée dans le fond d’un tiroir qui fait renaître à mon esprit les circonstances entourant l’un des changements les plus importants de ma vie. Ce dessin représente une clairière au milieu d’une forêt de pins exploitée pour la fabrication de la pâte à papier. Mutilé par les morsures du temps, il m’a servi de véhicule pour me transporter près de soixante-dix ans en arrière.

    Le désastre de Sedan avait laissé le pays dans un état lamentable. La Troisième République venait d’être proclamée et Napoléon III était en captivité en Allemagne.
    À Paris, pourtant, subsistaient quelques îlots où se maintenait une certaine joie de vivre.
    À cette époque, mes parents possédaient un appartement dans le quartier de Belleville. Ce petit village qui a grandi aux portes de Paris a été ensuite intégré à la capitale. Depuis l’entrée du faubourg du Temple, jusqu’au plateau de Belleville, on voyait défiler une kyrielle de promeneurs solitaires ou de couples, l’air joyeux, bavardant, gesticulant, marchant d’un pas gaillard vers une destination de réjouissance. Il y avait aussi des ouvriers, des commis, qui plaisantaient en courtisant les jeunes femmes coquettes et galantes qui arpentaient les lieux.

    J’étais en dernière année à l’école municipale pour apprentis de la ville de Paris. Cet établissement était situé boulevard de la Villette. Je faisais tous les jours le trajet en passant par la rue Clavel où j’avais remarqué l’enseigne originale de la boutique d’un passementier. Cette enseigne reprenait le thème du chat qui joue avec une pelote de laine. Balzac en avait fait une description saisissante dans sa nouvelle « La maison du chat qui pelote ». Sans doute que mon attention n’aurait pas été attirée par cette échoppe si mon auteur favori n’avait pas été celui de la « Comédie Humaine ». On ne voit bien que ce que nous connaissons déjà et l’on nomme hasard ce qui n’est souvent que la destinée.

    Après avoir examiné la façade de cet établissement, je me suis intéressé à ses occupants. Mes observations quotidiennes étaient limitées à quelques secondes.
    Bientôt, je remarquais la jolie vendeuse aux yeux clairs qui travaillait sous la férule d’un petit homme assez âgé portant un binocle à garniture d’écaille. Il avait sur la tête une calotte à la manière d’Anatole France. La jeune fille aux cheveux bruns et bouclés rayonnait au milieu des tissus, galons, coussins et franges. Elle semblait aussi aimable et accueillante que son patron était renfrogné et glacial. Chaque jour, je passais un peu plus lentement devant la passementerie et je pouvais remarquer un détail supplémentaire. Ce fut d’abord sa silhouette et son allure générale gracieuse et dynamique qui retinrent mon attention. Puis sa démarche élégante. L’attention bienveillante qu’elle prodiguait aux clients. Une boucle de cheveux qu’elle remettait en place, d’un geste charmant. Avec ces fragments de vies recueillies au fil des jours, je composai un tableau idyllique.
    Ce rendez-vous quotidien devint bientôt l’un des moments les plus agréables de la journée à tel point que, lorsqu’elle était absente, mon humeur s’assombrissait. De ces observations distantes et fugitives, je ne pouvais pas en déduire son portrait moral. Cependant, je ne manquais pas de lui attribuer des qualités intellectuelles et spirituelles à la hauteur de ses apparences, toutes de grâce et de légèreté. En un mot, disons-le, j’étais sous son charme. Mais à aucun moment je ne songeais à franchir le seuil de la boutique, je ne trouvais aucun prétexte qui m’aurait permis de faire sa connaissance. Je n’imaginais pas qu’elle puisse me trouver un quelconque intérêt. Quelques semaines passèrent ainsi.

    C’est alors que ma santé, qui a toujours été chancelante, se détériora à l’approche de l’hiver. Je fus pris d’une toux grasse d’autant plus alarmante qu’elle était accompagnée d’une perte de poids et d’une fatigue persistante. Inquiets, mes parents firent appel à notre médecin de famille qui préconisa une cure d’air, de lumière et de soleil. Ce motif en cachait un autre, on craignait que l’agitation qui régnait à Paris ne dégénérât en guerre civile. Il était inutile de m’exposer. On décida de m’envoyer pour quelques mois chez ma tante Hélène en Gascogne. Je quittai donc avec regret ce quartier plein de vie où j’évoluais dans un doux farniente malgré ma santé précaire, pour rejoindre la sœur de mon père en province au climat réputé moins rigoureux. Je laissai mes parents à leurs activités. Mon père, alors directeur d’une entreprise de mécanique générale, ne pouvait pas s’absenter de Paris.

    Cette séparation présentait un aspect positif dans la mesure où elle obligea mon père à différer son projet de m’associer à ses affaires. Je ne ressentais aucun attrait pour la mécanique. La sécurité matérielle dans laquelle j’avais toujours vécu et mon caractère plutôt indolent et rêveur ne m’avaient pas encore conduit à envisager une quelconque carrière. Je dis adieu à Paris par obéissance à l’autorité familiale et médicale. Cependant, j’emportai avec moi un profond regret. Celui de devoir renoncer à mes visites quotidiennes à la jolie passementière de Belleville.

    Je pris un billet à la compagnie de chemins de fer « Paris Orléans » pour rallier Bordeaux, ensuite une voiture à cheval me conduisit non loin de Mimizan. À peine étais-je installé dans le bucolique manoir de ma tante, que l’hiver frappait déjà à la porte. La douceur climatique attendue ne fut pas au rendez-vous. Mais je pus, en compensation, bénéficier de l’attention bienveillante d’Hélène.

    Le temps fut particulièrement froid, sombre et triste comme une ruine. Le ciel lourd pesait sur le moral tel un remords tenace. En mars, la campagne gardait les traces des frimas et au début du printemps, un vent rigoureux soufflait encore sur les plaines avec rudesse. L’âpreté du climat endiguait le mouvement naturel de la vie, refoulait les jeunes pousses, retenait l’impétuosité des cours d’eau, neutralisait l’élan de la faune des sous-bois et les volées d’oiseaux se faisaient rares. La campagne était immobile, figée dans l’attente de jours meilleurs. Rien ne semblait pouvoir modifier cette inclination à la léthargie. Cet engourdissement confinait la nature dans la prostration et rien n’annonçait le regain. Au contraire, la météo se dégrada davantage.

    La force et l’intensité dramatiques des éléments déchaînés n’avaient de comparable qu’une symphonie de Wagner. J’aimais écouter ce tumulte dans l’état de détente qui précède l’endormissement. C’est de cette manière que l’on peut goûter et comprendre la musique, lorsque la réalité s’efface et que se dessinent les contours d’un rêve. J’éprouvais les mêmes sensations que l’explorateur qui, du haut de sa hune, aperçoit dans le lointain le profil d’un rivage annonciateur d’un Nouveau Monde, avec ses promesses et ses menaces.

    à suivre...
    glegat le 20 août 2021

    La passementière de Belleville (Suite et fin)


    Imprégné par cette atmosphère sépulcrale, je frisais la mélancolie. La capitale était passée de l’accablement à l’effervescence après la signature de l’armistice avec l’Allemagne et la démission de Gambetta. Je n’avais ni projet ni volonté. Les jours se succédaient dans le halo d’une funeste brume. Ma toux persistait et je ne pouvais guère envisager de tonifier mon organisme par des promenades champêtres d’autant plus que des pluies torrentielles tourmentées par des vents violents vinrent parachever ce tableau apocalyptique. Je serais tombé dans un mortel ennui si ma tante, outre les soins attentifs qu’elle me prodiguait, n’avait pas disposé d’une exceptionnelle bibliothèque. Je demeurais donc cloîtré près de la cheminée, plongé dans d’interminables lectures entrecoupées d’une béate somnolence. La lecture étant chez moi une seconde nature, je trouvais là l’occasion d’y consacrer tout mon temps. Au contact de ses ouvrages, je sentais une amélioration progressive de mon état. Ce ne fut pas à cette seule occasion que je pus, au cours de ma vie, observer le pouvoir guérisseur des livres.

    Enfin, pour renforcer cette embellie, les prémices d’un renouveau émergèrent du néant. Debussy remplaça Wagner, le délicat « prélude à l’après-midi d’un faune » succéda à l’invasion sonore de la « Walkyrie ». Un matin, le soleil filtra à travers les persiennes de ma chambre, à mesure qu’il se rapprochait du zénith, les ombres chassées par la lumière se réfugiaient dans les caves ou dans les puits les plus profonds. La maison ne tarda pas à se réchauffer. L’hiver abandonnait la place, j’allais enfin pouvoir sortir et respirer au grand air.

    Le changement commença par l’apparition de la franche odeur des tilleuls et du lilas qui m’invitèrent à une promenade agreste. Guidés par mes rêveries, mes pas me conduisirent à l’orée d’une forêt. Je pris quelques instants pour sentir l’effluve des différentes essences de pins puis je continuais mon chemin au cœur de la pinède. Je goûtais avec plaisir la chaleur moite entretenue par l’ombrage des arbres. Une trouée de lumière entre les cimes attira mon regard, j’arrivai en bordure d’une magnifique clairière où bruissaient discrètement des touffes d’aiguilles ponctuées de pignes. Des piles de troncs d’arbres coupés en rondins parsemaient les abords. Une odeur intense et voluptueuse de résine occupait l’espace comme un hôte invisible. Bientôt, j’entendis retentir le bruit assourdi par la distance d’une hache frappant sec. À une centaine de mètres, j’aperçus quelques hommes dont l’un s’activait à l’abattage, tandis que les autres discutaient en tendant le bras dans la direction où devait sans doute tomber l’arbre. Aucun ne semblait avoir remarqué ma présence. Je poursuivis mon chemin et m’apprêtai à rentrer de nouveau dans les profondeurs de la forêt, lorsque mon attention fut retenue par l’apparition d’une silhouette féminine située non loin des bûcherons. Une jeune femme, à l’apparence raffinée, tenait une ombrelle. Elle était vêtue d’une longue jupe plissée de couleur blanche. Les rubans de son chapeau papillonnaient devant son visage nimbé par la clarté du jour. Au-dessus d’elle le ciel était limpide, bleu, avec seulement quelques nuages diaphanes en mouvement comme dans un tableau de Monet. Elle venait de se retourner pour me voir, sa tête était légèrement inclinée dans ma direction. Ce visage ne m’était pas inconnu. Par le fait de circonstances pour le moins impensables, il s’agissait de la passementière de Belleville !

    De retour chez ma tante, le cœur léger, je lui racontai ma promenade. Hélène connaissait tout le monde dans le pays et rien ne lui échappait des grands et petits événements qui s’y déroulaient. La jeune femme se prénommait Fiorenza, elle était en villégiature chez son oncle bûcheron, frère d’un passementier de Belleville. La pinède était exploitée par une usine de fabrication de pâte à papier située à Mimizan. Aussitôt je voulus en savoir plus sur tout ce qui se rapportait à Fiorenza, je n’avais que très peu d’informations et je commençais par m’intéresser à la fabrication du papier. J’avais à ma disposition le monumental Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse et je lus à la lueur d’une bougie tous les articles se rapportant au papier et aux exploitations forestières. Le lendemain, j’étais en mesure de dresser un historique de cette industrie nouvelle de fabrication du papier à partir des fibres de bois et de l’abandon progressif du chiffon comme matière première. Sans me donner d’informations sur Fiorenza, cela m’aurait permis peut-être d’engager une conversation.

    J’étais bien décidé à retourner à la clairière pour faire sa connaissance. Mais un événement imprévu bouleversa mes projets. Le matin même, je reçus une lettre de ma mère m’annonçant que mon père avait été gravement blessé au cours des insurrections qui se déroulaient à Paris. Républicain et farouche opposant des partisans de la paix avec l’Allemagne, il était élu de Belleville et à ce titre défendait son quartier. Ma mère souhaitait que je rentre d’urgence. Je partis aussitôt. Hélas, j’arrivai trop tard, mon père était décédé des suites de ses blessures provoquées par des éclats d’obus survenus lors de la répression des Versaillais. C’est sur les hauteurs des Buttes Chaumont qu’il était tombé sous le coup des canons. Ce quartier était le dernier bastion de défense des insurgés de la commune face aux troupes du gouvernement.

    J’étais à la fois anéanti par sa mort et fier de son héroïsme. Le cours de ma vie changea à cet instant. Dans les jours qui suivirent, je dus m’occuper de ma mère et liquider les affaires de mon père. Cependant, je ne pouvais oublier Fiorenza et j’appris que la passementerie de la rue Clavel avait été détruite par un incendie lors des émeutes. Personne ne savait ce qu’était devenu son propriétaire. Ce n’est que plusieurs semaines plus tard que je décidai de retourner chez ma tante. J’étais bien déterminé à retrouver la trace de Fiorenza. Malgré mes efforts, elle resta introuvable. Son oncle ne travaillait plus à l’exploitation forestière, personne n’avait de ses nouvelles. En quelques jours un monde plein de promesses avait disparu, il ne restait que des ruines et des souvenirs.
    À force d’arpenter les Landes en long et en large, je devins l’ami des bûcherons et bientôt je fis la connaissance du directeur de l’usine de pâte à papier. Celui-ci fut impressionné par mes connaissances concernant son industrie. Me voyant désœuvré, il me proposa du travail. Je m’investis rapidement dans cette activité avec un intérêt croissant. Ma passion pour les livres et les arbres y trouvait un plein épanouissement. Je ne produisais que des pages blanches, laissant à d’autres le soin de les imprimer, mais d’une certaine manière je participais ainsi au développement culturel. Après quelques années, je pris la succession du directeur de l’usine.

    Je ne revis jamais Fiorenza. Aujourd’hui, j’ai entre les mains cette esquisse au crayon que j’avais dessinée au retour de ma promenade à la pinède. Ce dessin m’a transmis la mémoire de tous ces événements et m’a inspiré ce récit. Comme si les objets pouvaient conserver l’empreinte de tout ce qu’ils ont vu et qu’en les regardant, on pouvait capter leurs souvenirs. Objets inanimés, avez-vous donc une mémoire ?

    Une jeune femme à l’apparence raffinée tient une ombrelle. Elle est vêtue d’une longue jupe plissée de couleur blanche. Les rubans de son chapeau papillonnent devant son visage nimbé par la clarté du jour. Au-dessus d’elle le ciel est limpide, bleu, avec seulement quelques nuages diaphanes en mouvement comme dans un tableau de Monet. Elle vient de se retourner pour me voir, sa tête est légèrement inclinée dans ma direction.

    Après toutes ces années, je remarque un détail nouveau, elle me sourit.



    llustration : Émilie Troger
    indelebilevagabonde le 20 août 2021

    Je me souviens très bien. 

    Trois années se sont écoulées. 

    J’attends un enfant.
    Patiemment, je l’attends, c’est le début d’une incroyable aventure, d’une nouvelle vie qui s’esquisse en quelques mois pour évoluer, passer de l’état de couple à la fondation de la petite famille.
    Neuf mois s’écoulent  au rythme des examens médicaux de contrôle, et pour apprendre aussi à devenir parents. Je les brave tous haut la main ces examens, ces temps d’attentes interminables, durant lesquels le cœur cogne fort dans la poitrine, durant lesquels tu n’attends qu’une confirmation, que tout se déroule au mieux.
    Oui, le fœtus se développe, oui, il pousse normalement, de petit pois, à noisette, têtard, puis crevette, tu es rassurée. A chaque nouvel examen, c’est une nouvelle petite victoire intérieure, j’ai l’impression d’avoir le souffle coupé, je veux juste être sûre, que tout va bien, c’est mon premier.
    J’ai l’intuition que ce sera une fille, je le sens. Je me prépare, je nous prépare, elle va arriver, tout chambouler, je serai bientôt maman.
    Vers le septième mois, je me sens plus sûre, je veux préparer le nid douillet, je me questionne, car enfin,  je vais devenir mère. Tout doit être prêt.
    Nous réfléchissons au prénom, nous le gardons secret pour nous deux jusqu’à son arrivée. Le terme approche, bientôt, la délivrance, l’accès à une nouvelle vie à trois, elle se matérialise déjà dans l’espace, dans ta nouvelle chambre, ces nouveaux vêtements miniatures. Aujourd’hui,
    petite baisse d’activité, ses mouvements sont au ralenti, c’est vrai que l’espace est moindre maintenant, c’est normal, la sage-femme vient me voir pour un monitoring, elle me rassurera.
    C’est ce que je pensais, je n’avais pas imaginé qu’elle me dirait « le cœur ne bat___ plus ». La sentence était tombée. Un silence assourdissant s’est abattu à la place. Je suis bouleversée, en colère, terrifiée aussi, les émotions me tyrannisent de douleur. Je n’entendrai jamais tes cris, je t’ai senti bouger, je t’ai accompagné ces neuf mois, et je t’ai perdu… avant même de te tenir dans mes bras.
    Je ne te borderai jamais dans ton lit, je n’imaginais pas te mener au linceul. Je me conduis comme une maman, je te laisse venir, douloureusement, je veux te tenir près de moi, je veux te toucher, je t’ai si souvent imaginé, tu reposes sur ma poitrine, peau à peau, cœur à cœur. La tristesse me transperce le cœur, les larmes coulent, tu resteras, si belle, mon ange.  "   


    Indelebilevagabonde/mg 





Pour participer à la conversation, connectez-vous

{* *}