| Big-Bad-Wolf le 29 septembre 2021
Bonjour à tous les participants ! Voilà un sujet qui est propice à de nombreux textes très émouvants... Voilà pour ma participation mensuelle !
Ton père est un voleur.
Il y a longtemps, dans le royaume de Hùldrn, vivait un voleur. Ce n’était pas la vie qu’il avait voulu embrasser, mais c’était celle que les dieux avaient tracée pour lui. Alors, il s’en accommodait. Orphelin très jeune, élevé dans la rue par des adolescents plus âgés, il dut devenir agile de ses doigts pour vivre. Au bout de quelques rudes années d’entraînement dans sa jeunesse, il devint assez leste pour subtiliser vivres et marchandises dans un vol à l’étalage, ou une bourse à une ceinture en bousculant quelqu’un. Somme toute, rien de plus que ce que les autres jeunes de son âge étaient capables de faire pour survivre.
Le voleur grandit pour devenir un jeune homme toujours versé dans l’art du crime. De tous les tire-laine, il n’était assurément pas le plus habile. Tout au plus parvenait-il à faire sa part pour garder sa place dans sa bande. Non pas qu’il n’ait pas la volonté de faire mieux. Il n’y arrivait tout simplement pas. La malchance, assurément. Un léger manque de talent également, peut-être. Là où les plus doués semblaient capables de dérober la hallebarde d’un garde en faction, lui se limitait à des larcins plus modestes. Il essayait de faire mieux, bien entendu. Mais après plusieurs séjours de quelques nuitées en cellule, il avait largement revu ses prétentions à la baisse.
Cela dura un temps. Le voleur avait pris le parti de se satisfaire de ce qu’il avait, et en avait fait sa philosophie de vie. Jusqu’au jour où advint ce qui fait perdre la tête à bien des hommes : il rencontra une femme. Sans doute n’était-elle pas plus exceptionnelle que lui, simple fille de salle dans une auberge de la ville. Pourtant, dès l’instant où il eut posé les yeux sur elle, le charme opéra, et il n’y eut plus qu’elle dans son esprit. Dès lors, le vaurien se mit à passer de plus en plus de temps à l’auberge, à chaque instant où le vol lui en laissait l’occasion. Les semaines passèrent, puis les mois. Ses efforts payèrent, car il parvint à ravir le cœur de sa belle. Il aspirait toutefois à lui offrir une vie stable et honnête. Un but qu’il se consacra tout entier à atteindre.
Au bout d’une année de labeur acharné, il eut réuni en parts de larcins de quoi payer la dette qu’il avait envers sa bande, pour le prix de sa sécurité et de sa subsistance. Le voleur quitta le groupe de tire-laine pour des lendemains meilleurs. Il épousa la jeune femme qu’il aimait et choisit de s’installer avec elle dans un petit logement modeste de la ville. Pour entretenir son nouveau ménage, le jeune homme trouva un honnête travail en tant que docker sur le port. Un emploi harassant, mais qui lui assura une période de stabilité et de bonheur.
Malheureusement pour lui, son labeur ne lui dispensait que des revenus modestes, qui suffisaient tout juste pour que sa femme et lui puissent vivre. C’était loin du bonheur et de la vie qu’il avait voulu bâtir pour elle, même s’ils pouvaient s’en contenter tous deux. La donne changea lorsque son épouse lui annonça attendre un enfant. Avec une bouche supplémentaire à nourrir, les revenus du couple pourraient ne pas suffire. Pour le jeune homme, il était hors de question que son enfant connaisse la misère comme lui-même l’avait fait durant son enfance. La seule solution qu’il connaissait était simple. En plus de son travail sur les quais, il retomba dans le crime et se remit à voler pour assurer à sa famille un train de vie plus confortable.
Lorsque sa fille vint au monde, le voleur se considéra comme l’homme le plus chanceux du monde. Elle devint pour lui son plus précieux trésor, bien plus encore que ce qu’il parvenait à dérober. Pour elle, il fit la promesse qu’il deviendrait le meilleur voleur du monde, afin de lui offrir une vie d’opulence. Pour lui qui n’avait jamais été qu’un voleur médiocre, il s’agissait de redoubler d’efforts. Il ne ménagea pas sa peine, s’entraînant sans relâche à crocheter des serrures, travaillant la dextérité de ses mains et de ses doigts, mettant son corps à l’épreuve pour décupler son endurance et son agilité. Cela lui prit plusieurs années, au cours desquelles il ne recula devant aucune épreuve, aucun défi. Nul séjour en cellule ne vint entamer sa détermination. Mais lorsque ses efforts commencèrent à payer, il ne fut que plus motivé à poursuivre dans cette voie.
Le train de vie de sa famille avait commencé à changer. Ils purent laisser leur petit logement pour quelque chose d’un peu plus grand, et de plus confortable. Le voleur se considérait comme comblé de voir sa fille grandir sans connaître la faim ou le manque. Le destin choisit toutefois de lui enlever quelque chose d’éminemment précieux, comme s’il voulait punir l’homme de jouir du fruit d’un travail malhonnête.
Une épidémie de peste rouge s’abattit sur la région. Si le voleur et sa fille furent miraculeusement épargné, son épouse succomba au mal en l’espace de seulement quelques jours. Cette perte fut un grand déchirement pour lui, mais il ne put se laisser aller à son chagrin. Il avait la responsabilité de sa fille, et il prit la décision de quitter la ville. Plus que jamais déterminé à faire de la vie de son enfant un vrai paradis, il redoubla encore d’efforts et de talent pour s’améliorer encore. Leur vie devint itinérante, car le voleur avait ouvert ses horizons et étendait ses rapines à toute la région. À mesure que sa fortune se faisait, il acheta des maisons dans diverses villes, où il logeait périodiquement avec sa fille. Pour elle, il paya les meilleurs précepteurs, veillant à ce qu’elle ait la meilleure éducation. Il n’oublia pas de lui apprendre très tôt des astuces de voleur, tenant à ce qu’elle puisse s’en sortir s’il lui arrivait quelque chose.
Lorsque sa fille eut six ans, le voleur avait atteint son but. Désormais connu pour son talent et recherché pour ses crimes, il préservait son identité avec brio et se cachait derrière un pseudonyme que le peuple lui avait attribué. Il était désormais le meilleur voleur de la région, si ce n’était du royaume. Sa vie était confortable et opulente, mais il veillait à ne jamais montrer aux yeux de tous à quel point il était aisé. La vie l’avait rendu prudent. Un jour, peut-être que ce fut l’orgueil, peut-être que ce fut pour réussir le plus beau coup de sa carrière et se mettre à jamais à l’abri du besoin, mais l’homme décida de cambrioler la demeure d’un mage au service du roi. Celui-ci avait pour réputation d’être excentrique mais de confiner au génie, et d’être rémunéré en conséquence.
Une nuit, le voleur se rendit au manoir du mage. Il dut déjouer la présence de gardes et éviter un certain nombre de pièges magiques avant d’espérer pénétrer dans la tour où le magicien avait élu domicile. Son coup avait été programmé avec une grande précision, préparé pendant des semaines. Le maître des lieux était absent, retenu ailleurs par quelque affaire politique. Cela permit au voleur de mettre facilement la main sur des objets précieux et même sur quelques objets magiques qu’il comptait revendre pour en tirer un bon prix.
Il avait déjà fourré bon nombre d’objets dans son vaste sac, lorsque son attention fut attirée par une bouteille de verre bleuté, déposée sur la table de travail du mage. Outre l’élégance du récipient, c’était ce qu’il contenait qui captiva le voleur. Des volutes troubles mais aux lueurs fascinantes bougeaient lentement à l’intérieur. L’homme tendit la main avec une certaine réserve, avant de se saisir de ce nouveau butin. Craignant de la briser, il la conserva à la main lorsqu’il quitta le lieu de ses rapines. Ce ne fut qu’une fois en sécurité, loin de là sur un toit d’où il pouvait surveiller les rues, qu’il se décida à se laisser aller à la curiosité.
Le plus sage aurait sans doute été de laisser le bouchon de verre soigneusement arrimé au récipient, et de le vendre tel quel à un receleur d’objets magiques. Après tout, il n’avait pas la moindre idée de la nature de ce que contenait la bouteille. Il voulut néanmoins en savoir plus. Les lueurs des volutes étaient captivantes, mais gâchées par la couleur bleutée du verre. Il voulut les voir sans ce filtre, et décida donc d’ouvrir le bouchon. Aussitôt qu’il l’eut fait, les volutes se jetèrent hors de la bouteille dans un tourbillon furieux qui monta jusqu’aux cieux. Le voleur tenait la bouteille à deux mains tandis qu’elle vibrait et tremblait, incapable de la lâcher. Le phénomène ne dura que l’espace de quelques battements de cœur, et les volutes réintégrèrent le contenant aussi vite qu’ils l’avaient quitté.
L’homme s’empressa de remettre le bouchon puis leva les yeux vers le ciel, le cœur battant, ne sachant trop ce qu’il s’attendait à trouver. Le ciel, auparavant piqueté de l’éclat de milliers d’étoiles, n’était désormais plus qu’une toile d’un noir d’encre. Seule la lune éclairait encore la nuit. Lorsque le voleur plissa les yeux pour regarder à l’intérieur de la bouteille, il en eut le souffle coupé. Des milliers de points lumineux et argentés scintillaient dans le contenant de verre, avec un éclat d’une pureté à nulle autre pareille. Avec stupéfaction, le voleur comprit qu’il avait libéré un sortilège qui emprisonnait les étoiles du ciel. Au-dessus de la ville, les ténèbres régnaient.
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