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EAN : 978B00WZJF04K
94 pages
BnF collection ebooks (23/04/2015)
5/5   1 notes
Résumé :
I - Où l’auteur demande la permission d’enrichir la langue française d’un mot nouveau.
II - Des conditions physiques et morales sans lesquelles il n’est pas de viveur
III - La journée d’un viveur
IV - Les créanciers - les barricades
V - Excentricités
VI - Un poisson comme on n’en voit guère, un poisson comme on n’en voit pas
VII - Une invitation à dîner
VIII - L’apprenti viveur
IX - Le dernier roi viveur
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Plus vigoureux qu'un flâneur, moins prétentieux, artificiel et recherché qu'un lion du Jockey's club, le viveur est un jeune insouciant festif, gai, plein d'esprit, de bons mots et rentier.
Différent encore d'un bon vivant bourgeois : « homme quelconque, gros, gras et bête ; rouge et bien nourri, ayant toujours faim à son heure, accaparant à table la meilleure place, la conversation et les bons morceaux »
La table n'est qu'un prétexte à la plaisanterie, l'allégresse : « Liberté de rire de tout, de parler à tort et à travers, si vous lui posez le stupide frein des convenances, vous le paralysez, vous le rendez muet ; il ne mange plus, il ne boit plus, il ne remue plus : c'est une machine à vapeur sans chaudière, c'est un moulin quand le vent ne souffle pas »

Il est jeune et bien prédisposé de façon à endurer une vie anarchique, irrégulière : « Pour être viveur, il faut avoir une de ces larges poitrines dans lesquelles le coeur bat à l'aise au contact de toutes les passions, de tous les plaisirs »

Involontairement paresseux car au-dessus de toute norme, ne distinguant pas même le jour de la nuit : « Pour lui, le jour n'existe pas, la nuit n'est qu'un mot ; les ridicules divisions établies par la science et la civilisation se fondent pour lui en un tout homogène et compacte. S'il y a une différence du jour à la nuit, c'est que l'un est éclairé par les rayons du soleil, et l'autre par des bougies. »

Il n'est pas plombé dans la mollesse, il cumule tout un tas d'activités sociales sans planification et qui l'occupe entièrement, se laissant-aller à l'imprévu : « N'allez pas croire, pour cela, que le viveur laisse sommeiller et s'éteindre son intelligence. Oh ! Que non pas ! Il l'applique à la « viverie » (mot qu'invente l'auteur), rien qu'à la viverie, qui suffit bien à l'occuper tout entière. »
« le viveur se réveille en riant ; il allume un cigare, et, tout en suivant de l'oeil les dessins capricieux produits par la fumée, il rêve à sa journée ; il se demande auquel des projets de la vieille il donnera la préférence »

Sa journée type consiste à se rendre au café Anglais, se joindre à des camarades attablés, reprendre sa promenade après son 15ème cigare, se faire accoster par d'autres groupes de viveurs, hésiter entre poursuivre sa journée vers tel café ou un autre... Tant d'aléas dans ses diverses activités qu'il en oublie un rendez-vous galant pour finalement rejoindre un autre café où il dînera avec ses semblables et où chacun rivalise de jeux de mots saugrenus, d'anecdotes piquantes :
« Céline, qui veut me donner les honneurs de la paternité, m'écrit le plus sérieusement du monde qu'elle espère bien que je reconnaîtrai l'enfant »
« j'ai répondu à la touchante et maternelle épître : Mademoiselle, comment diable voudriez-vous que je reconnaisse l'enfant ? Je rencontrerais la mère dans la rue, que je ne la reconnaitrais même pas »
« Un immense éclat de rire accueille cette folie plaisanterie, et la conversation se fond en un bourdonnement, au milieu duquel on ne peut plus distinguer une syllabe. »

Décourageante insouciance qui nous nargue, nous, commun des mortels :
« Le temps que vous consacrez, vous autres niais, à savoir comment vous gagnerez de l'argent, il l'emploie à savoir comment il dépensera le sien ; pour vous, les affaires sont un moyen de vous donner de loin à loin quelque plaisir ; pour lui, les plaisirs sont un moyen de ne jamais s'occuper d'affaires »

Il n'y a pas de viveur sans dette, bien trop étourdi pour penser à ses créanciers « Où voulez-vous qu'il prenne le temps de penser à ses détails infimes de la vie qui consistent à savoir que, tel jour, on a une facture à payer à son tailleur, sous prétexte qu'il vous a fait des habits, ou un billet à acquitter envers le bijoutier, pour quelque cadeaux à une lorette exigeante ? »

Si vous osez lui demander quand est-ce que vous serez payé, il vous répondra en toute indifférence par l'une de ses formules toute faite, merveilleusement irrévérencieuse et déconcertante : « Mon cher, vous êtes bien curieux…»
Se déplacer d'un point A à un point B représente pour les viveurs un véritable labyrinthe : à chaque coin de rue peut se former une barricade de créanciers : tailleur, restaurateur, bijoutier, impayés depuis plusieurs mois… Tous prêts à les assaillir, autant d'ennemis à éviter, de plans nouveaux à concevoir pour zigzaguer habilement en public.

Le souper est une institution, pas un dîner sans souper. Si tous les restaurants sont fermés à 2H du matin, que personne ne donne souper chez lui, c'est encore l'imprévu, la providence qui le leur proposera : le groupe de viveurs se rue vers les seuls commerces encore ouverts, et si ce n'est qu'un simple bureau de loterie, ils ordonneront d'être servis là, immédiatement. A force d'audace et d'une lourde insistance, le buraliste se laisse séduire par l'invitation et apporte 3 bouteilles de sa cave, trinque, cause, chante et rit, en compagnie des jovials viveurs.

Le viveur méprise ce qui est commun, sot, ou prétentieux. S'il vous invite à une soirée quelconque, la formule d'invitation sera toujours intrigante, curieuse, drôle : l'un d'eux se sert d'un huissier et fait signifier aux invités une sorte de sommation à dîner : « à la requête de …. Appelé à comparaître par devant M(…), restaurateur, au lieudit … pour s'y voir condamner à prendre sa part d'un dîner dont suit la teneur … lui faisant savoir que, faute par lui s'y trouver, il y sera contraint par toutes les voies de droit et même par corps »

Qu'importe le prix, l'inutilité, l'irresponsabilité de ses folles dépenses : « j'entends d'ici se récrier les honnêtes marchands, adjoints au maire et chevaliers de la Légion d'honneur « quelle prodigalité ridicule !… tant de francs pour des invitations à dîner… Quand on eût pu placer cela à la Caisse d'épargne ! » Oui mes braves gens, vous êtes estimables, adorables, incroyables… Vous montez très exactement votre garde, vous payez vos impôts régulièrement, vous avez beaucoup d'enfants… Bravo ! Je vous bénis ; mais ne touchez pas aux viveurs. »

Que le monde se porterait mieux s'il y avait des viveurs dans l'administration, au gouvernement : « La monarchie de juillet n'avait qu'a bourrer de viveurs les corps constitués de l'Etat » et pour exemple cite l'absurde préfet de police qui prend une invitation à dîner en plein air pour un avis de réunion à une société sécrète ! Excellente prédiction pour un ouvrage écrit 6 ans avant la révolution de 1848, fondée sur le prétexte de l'interdiction d'un banquet par le préfet.

Passé 30 ans, le viveur s'use vite et ne trompe plus personne quand il s'efforce de se joindre à de jeunes viveurs, il reste invariablement perçu comme un : « vieux général que la fortune a abandonné et qui perd toutes ses batailles. »
Ses cheveux s'argentent, son front plisse, son ventre prend la forme d'un potiron, les femmes l'appellent « gros père »…
Après quelques temps passés dans le déni, il se lamente et : « les projets les plus sinistres se heurtent contre les parois de son cerveau malade. Si je me pendais ! S'écrie-t-il. Si je me brûlait la cervelle ! Si je m'asphyxiais ! Si je me noyais ! Si je me rasais la tête ! Si je me mariais ! … »
« Et de toutes ces expiations, choisissant la pire, il se lève, prend son chapeau et court immédiatement à la recherche d'une femme »

Pauvre épouse qui devra subir cet être immoral et instable ! Qui devra se sacrifier pour tempérer les folies de son époux. C'est tout le contraire nous dit l'auteur, l'homme trop lisse, sage, impeccable, sans reproche est douteux car : « les folies qu'il n'aura pas faites étant garçon, il les fera étant marié, et un beau soir il rentrera près de sa femme :
- la bourse mise à sec par le jeu,
- le torse aviné et les jambes titubantes,
- le bras en écharpe par la grâce d'une belle de pistolet (...)
Que si au contraire, tous ces accidents lui sont arrivés sous son règne de célibataire, ce sera un petit mari modèle ;
- Il ne boira plus que de l'eau,
- Il ne jouera plus qu'au loto ou à l'oie,
- Il ne fera plus la cour qu'à sa femme »

C'est un « certificat de mauvaises moeurs » qui devrait être produit par le gendre aux beaux-parents afin de les rassurer.

Bien sûr, notre viveur ne s'accommodera pas des banalités du mariage : « Jugez ce que c'est pour le viveur, habitué à de joyeux compagnons, de donner à dîner au père de sa femme ou bien d'aller manger la soupe chez la tante de sa femme, ou bien passer la soirée chez la grand-mère de sa femme. Les grands parents peuvent être de fort braves gens et de citoyens irréprochables ; mais ils n'ont qu'un moment agréable dans la vie, c'est celui où l'on en hérite »

Mais plutôt que de s'alanguir à de futiles activités, il redirigea ses batteries vers la politique : « Là on a des coudées franches, et l'on peut déraisonner sans se donner de peine. Avec une douzaine de phrases toutes faites et que l'on applique à tout, on donne de ses vues sur l'économie politique et sociale, une opinion formidable, et l'on peut affronter un collège électoral. Voilà l'affaire du viveur trouvée. Il découvre un petit bourg où, sur cent électeurs, il n'y en a pas dix qui savent lire. Il s'y présente, la tête haute, le sourire aux lèvres, et lance son programme, bourré de promesses comme tous les programmes du monde. Il fera ouvrir des routes, construire des ponts, élever des fontaines ; il se fait fort d'obtenir du pacha d'Egypte un obélisque pour la place de l'Eglise, et, du roi une seconde colonne Vendôme pour la place de la mairie. Si l'on manque d'eau, il vous fera venir la mer : les ponts et chaussées ne lui refuseront pas ce petit service-là.
Le voilà nommé ! »

Député exemplaire, le parlement n'est pour le viveur qu'une chambre d'enregistrement, toujours admiratif, débonnaire quand un de ses anciens camarades viveurs ministres ou députés royalistes prend la parole : « le viveur ne commet pas le plus petit discours, ne hasarde pas la plus mince idée ; mais il a un admirable don pour crier : bravo ! Très bien ! À toutes les paroles des ministres, et à l'ordre ! À tous les discours de l'opposition. Pour lui, le mandat de député semble n'avoir d'autre but que de refaire un peu de « viverie » et de se re-champagniser au meilleur marché possible »

Immoral ou non, le viveur est traité en enfant trublion mais privilégié, gâté et protégé par l'auteur. Sa politique se résume ainsi : plus de viveurs en notre bas-monde ! Ni plus, ni moins. Il nargue le reste de la société avec un cynisme impressionnant et un humour moqueur d'une âpreté sèche.
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