AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2014/2015, écrits par Jason Aaron, dessinés et encrés par Ron Garney, avec une mise en couleurs de Matt Mila.

Tout commença au début du dix-neuvième siècle quand Dewey Rath s'installa en Alabama, dans Choctaw County. Tout dégénère en 1903, quand Isom Rath tue froidement Erastus Grievers pour une sombre histoire de moutons appartenant à un troupeau ou à un autre. Ira Rath est le fils de Monroe Rath lui-même fils d'Alfom Rath dont le père était cet Isom Rath.

De nos jours la santé d'Ira Rath n'est pas bien vaillante, ce qui ne l'empêche pas d'être le tueur à gages le plus compétent de toute la région, dépourvu de toute pitié. le souci, c'est que Ruben Rath (son fils) est de retour dans la région et qu'il s'est mis dans un beau pétrin.

Impossible de parler de cette histoire, sans rappeler que Jason Aaron est le scénariste d'une série exceptionnelle de noirceur et d'intelligence : Scalped. Cette série avait bénéficié de la mise en images par RM Guéra, dessinateur d'une grande qualité. Par la force des choses, toutes les oeuvres suivantes de Jason Aaron se mesurent à cette référence (dont le lecteur espère qu'elle ne soit pas indépassable).

À l'évidence, une histoire en 5 épisodes ne n'a pas l'ampleur d'une série en 60 épisodes comme Scalped, et la narration en est différente. Jason Aaron se concentre sur le personnage d'Ira Rath, lui donnant de l'épaisseur en tant que professionnel froid et sans remord. Ce personnage a droit à une scène d'introduction à l'efficacité cruelle qui ne laisse planer aucun doute sur le genre d'individu dont il s'agit. Aaron ne fait pas dans l'esbroufe spectaculaire gratuite ; il montre un professionnel en action. Ira Rath a un métier, il est compétent et il le fait bien sans état d'âme.

Après cette entrée en matière sèche qui en impose, Aaron consacre son récit à Ira Rath, sa compétence en matière de meurtre, le genre d'individu qu'il est, et le dilemme que lui pose l'avenir de son fils et de Lizzie sa copine. La narration d'Aaron est sèche, sans gras. Il arrive à dresser un portrait plausible d'Ira Rath du début à la fin, évitant toute tentation d'en faire un héros, ou même un personnage sympathique. C'est un tueur au sang-froid du début jusqu'à la fin, sans aucune empathie. C'est un homme dans la force de l'âge aux capacités physiques impressionnantes, tout en restant réaliste (pas de résistance à la douleur défiant l'entendement).

La première séquence montrant Ira Rath exerçant son métier arrive à convaincre le lecteur grâce aux images de Ron Garney. Il dessine ici dans un style réaliste, sans fioriture. La mise en scène est froide et factuelle, sans affèterie. Il le montre accomplir sa tâche avec efficacité, sans geste superflu.

Le savoir-faire narratif d'Aaron lui permet d'enchaîner les séquences prévues (face-à-face avec le fiston, bébé en route), sans donner l'impression de s'en tenir à une enfilade de clichés. À nouveau, c'est parce qu'Aaron a réussi à faire passer la personnalité d'Ira Rath, que ses actions dépassent le cliché générique. La narration repose sur la personnalité de ce personnage et sur sa présence sur la page.

Au fil des séquences, les dessins de Garney concourent à imposer la présence et la personnalité d'Ira Rath. C'est un homme de belle stature, sans être un géant, carré d'épaule sans disposer d'une musculature impossible, le visage sillonné de rides dues à la fois à l'âge et une vie âpre, aux gestes assurés et mesurés. Ses vêtements sont simples et avant tout fonctionnels.

Ira Rath évolue dans un monde réaliste, avec des individus plausibles, des décors naturels normaux sans être bucoliques, des villes sans identité marquée, des lieux fonctionnels. Garney utilise avec parcimonie et à propos les codes graphiques perfectionnés par Frank Miller, tels que les gros aplats de noir. Il s'agit d'une utilisation chronique personnalisée, qui n'a rien d'une copie servile, même pas un hommage, un outil parmi d'autres.

Par rapport à d'autre séries réalisées pour Marvel dans le registre superhéros (parfois avec Aaron, comme "Wolverine: Get Mystique", Ultimate Comics Captain America"), Ron Garney s'est plus investi pour réaliser des dessins à la consistance régulière sur toutes les pages.

Le lecteur détecte cependant que cet artiste utilise parfois des automatismes graphiques pour les visages les rendant moins expressifs. Il subsiste également quelques raccourcis en matière de décors qui aboutissent à une représentation un peu simplifiée, qui a du mal à rendre compte de la complexité d'éléments comme une voiture, ou un carrelage. Garney les représente à la va-cite, sans chercher à les rendre plus palpables par des détails spécifiques ou des irrégularités engendrées par l'usage.

Cette particularité des dessins ne tire pas le récit vers une narration graphique pour jeunes adolescents (encore moins pour enfants), mais elle diminue un peu le niveau de réalisme et donc l'impact visuel de ces représentations. Ces planches ne deviennent pas génériques, car elles présentent une mise en scène fluide s'adressant à des adultes habitués à la lecture de bandes dessinées. le découpage de chaque action imprime un rythme rapide de lecture, misant sur l'habitude du lecteur à reconnaitre les liens entre chaque case, sans rien perdre en lisibilité.

Jason Aaron raconte donc une histoire relativement linéaire, entrecoupée de retours en arrière pour établir comment cette colère froide (Wrath) habite les individus mâles de chaque génération de la famille Rath (jeu de mot avec Wrath, à peu près la même prononciation). le lecteur amateur de récits noirs et violents, suit avec plaisir cette histoire brutale et sans concession, dans laquelle les auteurs décrivent avec conviction les agissements de cet individu à la personnalité parfaitement adaptée à son métier.

"Men of wrath" constitue un bon thriller à tendance hard boiled, avec un personnage bien campé, à la psychologie logique bien transcrite. Ce récit trouve ses limites dans les images pas toujours tout à fait assez concrètes dans leur détail, et dans sa nature même, un parcours de violence sans rédemption, sans valeur morale, sans autre ambition que d'être un récit de genre efficace et sec.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}