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Critique de Gally81


Elle se voyait poétesse. Elle a passé des années à coucher ses vers avec minutie pour les présenter à un éditeur londonien, imaginant déjà la couverture en cuir de l'ouvrage avec son nom gravé dessus : Eliza Acton. Pourtant, en 1835, en Angleterre, les femmes qui osent donner leur avis et entrent dans la catégorie des intellectuelles ne sont pas à leur place. Elles sont tout juste bonnes à écrire de banales histoires d'amour ou des livres de cuisine sans saveur. Et ces femmes, si elles sont issues de bonnes familles, doivent avant toute chose s'occuper de faire tourner leur maison, de gérer les domestiques, de distraire leur époux, de choisir leurs toilettes et la décoration. Une vie d'une luxueuse servitude qui ne convient guère à Miss Eliza.
À seulement 36 ans, elle est cataloguée vieille fille et vit sous la tutelle de sa mère qui abhorre ses livres et sa poésie. Mais avec son caractère, elle ne va pas se contenter d'un refus. Elle va faire ce qu'on lui dit, « écrire des recettes » et pour cela pénétrer dans le domaine interdit des domestiques en passant elle-même derrière les fourneaux. Ce livre de cuisine qu'elle mijote ne sera pas un énième atlas ménager. Les recettes se liront comme de la poésie et les plats auront la saveur des tables les plus raffinées. « Comme un poème, une recette doit être claire, précise et ordonnée. Rien de superflu, imprécis ou inexact », clame-t-elle. Et elle se lance : anguilles grillées à la sauge, pêches en saumure, citronnade à la lavande, fromages de tête, oeufs de cygne, ortolans garnis et autres chutneys.  Des plats bien british aux saveurs oubliées.
C'est cette histoire vraie qui fait voler les convenances et la bienséance, aux prémices du féminisme, que ra-conte l'auteure anglaise Annabel Abbs. Un ouvrage par-faitement documenté qui ne manque pas de piment grâce au caractère d'Eliza mais aussi grâce à une galerie de personnages secondaires savoureux : la mère, femme acerbe totalement dépourvue d'instinct maternel plus attachée au regard des autres et à sa fortune perdue ; la détestable femme du pasteur aigrie, cruelle et sans une once de chrétienté. Et puis, il y a la jeune Ann, un joyau fragile et abîmé qui sera pour la cuisinière une petite main aussi précieuse qu'essentielle.
Annabel Abbs n'en est pas à son coup d'essai. Plusieurs prix ont salué ses récits sur ces destins de femmes méconnus : la fille de l'écrivain James Joyce ou encore Frieda, celui qui inspira Lady Chatterley. Des femmes libérées et engagées qui cherchent leur place dans la so-ciété.
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