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Critique de batlamb


Un roman fragmentaire dont les chapitres sont présentés comme des séries de notes qui pourraient avoir été retrouvées un peu partout, comme si elles avaient été postées à des destinataires différents, à partir d'une boîte à lettres.

Ou peut-être n'ont-elles jamais quitté la boîte à l'être. Notre héros vit dans cette boîte en carton comme dans un terrier kafkaïen. Des pensées labyrinthiques s'y entassent en un labyrinthe de papier. Un labyrinthe dans un labyrinthe dans un labyrinthe. Car, comme l'homme-boîte finit par s'en rendre compte, la cellulose du carton, observée au microscope, est elle-même labyrinthique. Ces sinuosités semblent tisser un cocon autour de l'homme-boîte. Mais c'est avant tout le texte lui-même qui ne cesse de se transformer.

À chaque chapitre, les formes du récit et de la narration changent en effet sensiblement : observations factuelles, rêves, soliloques, dialogues… Et on ne sait jamais précisément à quel point ces états de conscience ou d'inconscience s'étendent au sein du récit, de même que l'on ne sait pas à quel point la nature de l'homme-boîte contamine les autres personnages masculins (si tant est qu'ils existent réellement). Parmi ceux-ci, on trouve un médecin qui semble représenter à la fois l'opposé de l'homme-boîte et le remède a sa condition. En effet, grâce à son assistante infirmière il établit un point de contact avec la féminité absente de l'homme-boîte, cloîtré sur sa masculinité par la faute d'un voyeurisme pathologique qui dégouline de ses yeux sous la forme d'un liquide organique. Cela le fait parfois ressembler à des créatures marines telles que le poisson : métamorphose due à son cocon en carton ? Dans sa chambre noire abyssale, son corps paraît se développer bizarrement, tandis qu'il développe des photographies dont plusieurs exemplaires jonchent le roman, à la manière de Bruges-la-morte de Rodenbach. Ces clichés en noir et blanc donnent à voir un Japon urbain miséreux et sordide, à la fois énigmatique et en perte d'identité. L'homme-boîte envisage de faire entrer le monde en lui. Mais on voit bien que ce serait seulement un monde à son image, enseveli sous des couches de crasse tel un palimpseste de son histoire d'origine. Cette histoire véritable pourrait avoir été maquillée à dessein, pour noyer le poisson. Car le milieu du récit s'articule autour d'un meurtre dont au moins deux versions nous sont données. Et à partir de ce point le narrateur-personnage bascule définitivement dans un espace-temps imprécis que l'on pourrait qualifier d'ère du soupçon, ou d'aire du soupçon, délimitée par les dimensions d'une boîte en carton. Qui est tué, et qui tu es toi qui racontes parfois cette histoire à la deuxième personne du singulier ? Un assassin ? Un fantôme ? Ou rien qu'un simple homme-boîte dépourvu de toute trace d'identité ?

On s'apercevra ainsi que ce roman est en fait un casse-tête chinois écrit au Japon. Les morceaux du roman sont éparpillés sous nos yeux et il est particulièrement ardu de les agencer pour les faire entrer dans un tout cohérent. Comme dans le film Rashōmon (tiré de la nouvelle Dans le fourré de Ryūnosuke Akutagawa) les fragments de récits semblent s'interrompre et même se contredire, dignes des divagations d'un fou bon à enfermer (dans une boîte ?). Mais même cette observation n'est pas sûre. Il y a une méthode dans cette folie. Et cette méthode n'est peut-être autre que celle de la plus terrible rationalité, celle de la seule attitude lucide et raisonnable à adopter face à une société fondée sur l'humiliation par le regard. Fuyant les yeux scrutateurs de son hypocrite lecteur, Kōbō Abe signe un livre particulièrement... hermétique.
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