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Critique de Lutopie


Tout commence à la campagne, alors que l'auteur observe un jardin. Les courges se transforment en êtres vivants. L'anthropomorphisme, cette fantasmagorie, s'installe. L’œuvre germe. Le regard de l'artiste s'abîme, il va jusqu'à s'imaginer un monde où l'on cultiverait non plus des légumes, mais des statues, à l'apparence humaine, ou presque. La nature et la culture, se mêlant étroitement dans son esprit, se présentent à l'évidence comme la matrice de son oeuvre. Il projette alors d'écrire une fiction brève, ou un conte philosophique, sur une création métaphorique. Il laisse aller sa plume, écrit 150 pages en explorant la contrée des Jardins Statuaires et s'interroge sur les limites de son oeuvre. Il arpente l'espace textuel jusqu'aux frontières du récit. Il écrira, en plus, six autres oeuvres, dressant une géographie plus complexe, plus complète de ses contrées imaginaires. Il créera de nouveaux espaces où les cultures se rencontrent, se confrontent. L'anthropologie est une science qui se transforme en art dans les récits de ce voyageur imaginaire. Il dresse l'histoire des civilisations, dans une oeuvre mémorielle ; il médite devant les ruines des monuments, sur la nature qui surgit, qui prend vie. C'est l'histoire d'une gestation.

L'histoire de la conception des statues peut se lire en filigrane dans les Jardins Statuaires, à plusieurs niveaux. Jacques Abeille, qui fut professeur d'arts plastiques, nous présente en effet un bilan de l'art sculptural : les amateurs peuvent reconnaître, il me semble, certaines statues, célèbres, dans les descriptions. En même temps, ces statues familières sont plus que tout, étranges. Elles sont cultivées par des jardiniers : la sculpture devenant l'expression de la nature (monstrueuse, d'un gigantisme à peine croyable) par le moyen d'un glissement. C'est une nature inquiétante mais fascinante, d'autant plus qu'elle recèle des potentialités infinies, qui franchit les limites du réel, du roman, qui surgit hors de l'oeuvre romanesque. Les statues, silencieuses, sont criantes de vérité : c'est l'allégorie par excellence, parce que c'est "une autre manière de dire". Nous ne savons pas ce qu'elles représentent véritablement, parce qu'elles sont les vestiges d'une civilisation en déclin ou d'une culture morte. Elles sont pourtant paradoxalement fertiles. Elles font corps avec la réalité parce qu'elles s'inscrivent dans la terre, qu'elles ont des racines et qu'elles s'élancent. Il émane quelque chose d'elles parce qu'elles s'expriment, parce qu'elles sont la manifestation d'une volonté, qu'elles semblent faire sortir d'elles ce qu'elles recèlent, qu'elles expriment leur suc, qu'elles nous nourrissent, mais c'est imaginaire.
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