"D'après une légende encore vivante au Cachemire, c'est en récitant ce poème (Hymne à la gloire de l'absolu) que Abhinavagupta suivi d'un grand nombre de disciples pénétra dans la grotte Bhairava pour y mourir."
BHAIRAVASTAVA / HYMNE A LA GLOIRE DE L'ABSOLU
1. D'une pensée identique à Toi, en mon coeur je rends hommage au Seigneur Bhairava, refuge de qui n'a pas de Seigneur. Fait de Conscience, unique, infini, sans origine, il imprègne la diversité des êtres mobiles et immobiles.
2. O grand Souverain ! Par l'énergie de Ta grâce, cet univers entier m'apparaît désormais comme identique à Toi. Tu es éternellement mon propre Soi; ainsi la totalité des choses est pour moi identique au Soi.
3. En Toi, Seigneur, mon propre Soi, qui pénètre tout, la peur de la transmigration n'a plus de raison d'être quand même subsiste réellement une multitude d'activités forgeant terreurs, égarements et intolérables douleurs !
4. O Exterminateur, ne pose pas sur moi ce regard chargé d'un épouvantable courroux, sur moi auquel adoration et contemplation du Seigneur confèrent une immuable fermeté, sur moi qui suis identique à l'énergie de Bhairava-l'effroyable !
5. Ainsi les épaisses ténèbres sont dispersées par les rayons de Ta Conscience quand Tu t'approches, Seigneur ! Plus jamais je ne craindrai les agissements démoniaques de l'exterminateur, de Yama, ni de la mort, hommage à Toi !
6. (Moi) Réalité même de l'ensemble des objets contemplés en tant que rayons de la vraie Conscience apparue, c'est en Toi que j'accède à l'apaisement, en Toi, le Soi comblé à profusion par le suprême nectar de (toutes) les choses.
7. O Seigneur, quand l'état d'impureté dispensateur d'excessifs tourments entre dans le champs de (ma) pensée, à l'instant même surgit en moi la pluie du suprême nectar qui célèbre la louange de Ton unicité.
8. Si, O Shiva, ascèse, bains, voeux, dons, brisent le tourment de l'existence, l'heureux souci de Ta révélation répand dans le coeur un flot de félicité.
9. O Seigneur Bhairava, cette Conscience mienne danse, chante, se réjouit grandement, car dès qu'elle a pris possession de Toi, le Bien-aimé, l'accomplissement du sacrifice unique, celui de l'égalité, si ardu pour d'autres, lui est aisé.
Durant la quinzaine lunaire sombre, le dixième jour du mois pausa, en l'année 68, Abhinavagupta composa cette louange selon laquelle l'omniprésent par compassion apaise instantanément chez l'être humain la douloureuse brûlure (inhérente) au désert du devenir.
Ici on ne va nulle part, on n’exerce aucune technique, ni concentration, ni méditation, ni récitation, on ne pratique rien,
on ne fait pas d’effort, rien.
Alors qu’y a-t-il réellement à faire?
Seulement ceci: n’abandonne rien, ne saisis rien, sois en toi-même et jouis de chaque chose telle qu’elle est.
L'inné ne peut être sujet au flot des existences objectives ; celles-ci ne se manifestent qu'éprouvées par toi. Bien que privées par nature de réalité, en un instant, par la faute d'une erreur de perception, elles prennent part au réel. Ainsi jaillit de ton imagination la grandeur de cet univers puisqu'il n'existe pas d'autre cause à son apparition. C'est pourquoi, par ta propre gloire, tu resplendis dans tous les mondes et, bien qu'unique, tu es l'essence du multiple.
Du point de vue de la Réalité absolue, il n'y a pas de transmigration. Comment alors est-il question d'entrave pour les êtres vivants ? Puisque l'être libre n'a jamais eu d'entraves, entreprendre de le libérer est vain. Il n'y a là que l'illusion de l'ombre imaginaire d'un démon, corde prise pour un serpent qui produit une confusion sans fondement. Ne laisse rien, ne prends rien, bien établi en toi-même, tel que tu es, passe le temps agréablement.
Lorsque surgit la Conscience en tant que contact immédiat avec soi-même alors le réel et l'irréel, le peu et l'abondant, l'éternel et le transitoire, ce qui est pollué par l'illusion et ce qui est la pureté du Soi apparaissent radieux dans le miroir de la Conscience. Ayant reconnu tout cela à la lumière de l'essence, toi dont la grandeur est fondée sur ton expérience intime, jouis de ton pouvoir universel.