On est capable d'envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l'espace, d'identifier un criminel à partir d'un cheveu ou d'une minuscule particule de peau, de créer une tomate qui reste trois semaines au réfrigérateur sans prendre une ride, de faire tenir dans une puce microscopique des milliards d'informations. On est capable de laisser mourir des gens dans la rue.
Sur ma fiche je suis arrivée à la case "frères et sœurs", j'ai écrit zéro en toutes lettres.
Le fait d'exprimer l'absence de quantité par un nombre n'est pas une évidence en soi. (...) L'absence d'un objet ou d'un sujet s'exprime mieux par la phrase "il n'y en a pas" (ou "plus"). Les nombres demeurent une abstraction et le zéro ne dit ni l'absence ni le chagrin.
Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu'elle est parfois invisible à l'œil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l'enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence st ce qui ne trouve pas d'explication, ce qui à jamais restera opaque.
« Le matin de la vie est comme le matin du jour , plein de pureté , d’images et d’harmonie . »
Je suis muette. Je suis une carpe. Mes neurones ont dû s'éclipser par la porte de derrière, mon cœur bat comme si je venais de courir six cents mètres, je suis incapable d'émettre une réponse, ne serait-ce que oui ou non, je suis pathétique.
Ma mère ne sort plus de chez moi depuis des années et mon père pleure en cachette dans la salle de bain. Voilà ce que j'aurais dû lui dire.
D'un trait définitif, Monsieur Marin m'aurait rayée de la liste.
Nous nous retrouvons directement au café. La gare devient dangereuse pour No, elle ne peut pas rester plusieurs jours de suite au même endroit. Cela fait partie de sa vie. Se poser. Repartir. Eviter les risques. Dans la rue, il y a des règles, et des dangers. mieux vaut ne pas se faire remarquer. Baisser les yeux. Se fondre dans le décor. Ne pas empiéter sur le territoire du voisin. Eviter les regards.
Dehors, elle n'est rien d'autre qu'une proie.

À Dieu ne plaise que j’en dise du mal ! elle est sans doute la meilleure du monde. Elle est bien élevée, dites-vous ? Quelle éducation a-t-elle reçue ? La conduit-on au bal, au spectacle, aux courses de chevaux ? Sort-elle seule en fiacre, le matin, à midi, pour revenir à six heures ? A-t-elle une femme de chambre adroite, un escalier dérobé ? [A-t-elle vu la Tour de Nesle, et lit-elle les romans de M. de Balzac ?] La mène-t-on, après un bon dîner, les soirs d’été, quand le vent est au sud, voir lutter aux Champs-Élysées dix ou douze gaillards nus, aux épaules carrées ? A-t-elle pour maître un beau valseur grave et frisé, au jarret prussien, qui lui serre les doigt quand elle a bu du punch ? Reçoit-elle des visites en tête-à-tête, l’après-midi, sur un sofa élastique, sous le demi-jour d’un rideau rose ? A-t-elle à sa porte un verrou doré, qu’on pousse du petit doigt en tournant la tête, et sur lequel retombe mollement une tapisserie sourde et muette ? Met-elle son gant dans son verre lorsqu’on commence à passer le champagne ? [Fait-elle semblant d’aller au bal de l’Opéra, pour s’éclipser un quart d’heure, courir chez Musard et revenir bâiller ?] Lui a-t-on appris, quand Rubini chante, à ne montrer que le blanc de ses yeux, comme une colombe amoureuse ? [Passe-t-elle l’été à la campagne chez une amie pleine d’expérience, qui en répond à sa famille, et qui, le soir, la laisse au piano, pour se promener sous les charmilles, en chuchotant avec un hussard ? ] Va-t-elle aux eaux ? A-t-elle des migraines ?

Le pouvoir a compris que la vérité sur les camps et sur le passé, si on continuait à la dire, risquait d’emporter tout : pas seulement Staline mais Lénine avec lui, et le système lui-même, et les mensonges sur quoi il repose. C’est pourquoi Ivan Denissovitch a marqué à la fois l’apogée et la fin de la déstalinisation. Khrouchtchev déchu de ses fonctions, la génération d’apparatchiks issue des purges a mis en place, sous l’égide du gracieux Leonid Brejnev, une sorte de stalinisme mou, fait d’hypertrophie du Parti, de stabilité des cadres, de pistons, de cooptations, de petites et grosses prébendes, de répression modérée : ce qu’on a appelé le communisme de « nomentaklura », du nom de l’élite qui en bénéficiait, mais cette élite, au fond, était relativement nombreuse et, pour peu qu’on joue le jeu, pas si difficile à intégrer. Cette stabilité-là, plombée, à-quoi-boniste et d’une certaine façon confortable, pratiquement tous les russes en âge de l’avoir connue y pensent avec nostalgie aujourd’hui qu’ils se retrouvent condamnés à nager souvent à se noyer dans les eaux glacées du calcul égoïste.
On fait semblant de travailler ils font semblant de nous payer
Je ne me confesse pas, don Salvatore, ne vous méprenez pas. Si je vous ai amené ici, si je vous demande de vous asseoir à mes côtés sur ce vieux banc de bois, ce n'est pas pour avoir votre bénédiction. Les scorta ne se confessent pas. Mon père fut le dernier, Ne froncez pas les sourcils, je ne vous insulte pas. Je suis simplement la fille de Rocco et même si je l'ai longtemps détesté, cela ne change rien. Son sang coule en moi.