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Critique de Malaura


Du balcon de sa chambre d'hôtel, un homme regarde les falaises éclairées d'Etretat.
Il y a vingt ans jour pour jour, sa mère se jetait du haut de ces parois blanches, le laissant seul avec son frère Antoine et leur père, à jamais anéantis, brisés, inconsolables.
Alors, pendant toute une nuit et tandis que Claire, sa femme, et Chloé sa petite fille, dorment paisiblement, lui invoque les fantômes d'un passé tragique, un travail de mémoire qui débute le jour du suicide maternel, il a alors onze ans.
Avant cela, il n'y a rien qu'un flot d'images brumeuses, un no man's land irréel et insaisissable que le traumatisme du suicide à partiellement effacé.
Durant cette longue nuit sans sommeil, Olivier laisse affleurer les souvenirs de son enfance saccagée : son père devenu odieux ; son frère tentant l'oubli dans la fuite ; ses amis, tout aussi abandonnés et sans repère…Des êtres malmenés par la vie qui tentent de se raccrocher fébrilement les uns aux autres sans trouver la force de s'affranchir du malheur.

Récit fragmenté, morceaux de puzzle agencés par vagues successives au gré de la mémoire, le narrateur "déroule le film de sa vie" jusqu'à la découverte d'un "abri ou le vent siffle moins fort", une éclaircie incarnée dans les visages lumineux De Claire et de Chloé.
La fille et la compagne du narrateur, leur amour inconditionnel, attentif, dévoué, représentent autant de respirations, de bouffées d'air frais au sein d'une existence encerclée d'un gris âpre et poisseux.
Le gris de la banlieue et de la rue ; le gris de la perte et de la souffrance, le gris de la fragilité des choses, de leur inexorabilité ; le gris des sentiments, celui de la désolation.
Et aussi le gris du vide. Car en se jetant du haut des falaises, c'est toute une famille que la mère d'Olivier a précipité dans le néant, et c'est tout ce qui subsistait d'unité familiale qui a sombré avec elle dans les flots. Comme un grand naufrage duquel émerge un flux continu d'interrogations amères.
La mort de celle qui vous a donné la vie, de celle qui vous a bercé et choyé, est déjà une épreuve insupportable, mais comment peut-on interpréter le geste d'une mère qui met fin à ses jours ? Comment se construire, se reconstruire, trouver sa place et son identité après une telle tragédie ?
Entre ressentiment, culpabilité, incompréhension et douleur, la vie d'Olivier s'effiloche, part en lambeaux. Ses amis, ses amours, paumés, inadaptés, ne font que l'entraîner un peu plus sur les pentes abruptes du désir d'en finir. Lui-aussi.

Crénelé comme la découpe escarpée des falaises que le narrateur regarde de la baie vitrée de sa chambre d'hôtel, ourlé d'écume comme les vagues s'abîmant violemment sur les rochers, empli du tumulte du vent et du fracas des lames, le roman d'Olivier Adam s'échoue sur la grève d'un coeur meurtri, sur les rives de l'enfance brisée et de la solitude, du deuil, de la disparition d'un être cher.
L'auteur évoque le vide existentiel et explore les replis secrets de la mémoire au gré d'une écriture fluide et forte, un style à la fois contenu et cru, bouleversant de détresse à fleur de peau.
Le récit, mélange de sombre et de lumineux, s'auréole ici et là de belles fulgurances de lumière, bienvenus éclats de couleurs dans cet environnement blafard et délavé, inondé d'une tristesse contagieuse.

C'est beau, c'est poignant. Pourtant, paradoxalement, la dernière page lue, l'on se sent soulagé de quitter Olivier, ce « sombre héros de l'amer » qui nous a ballotté dans les déferlantes d'une existence tempétueuse.
Parce que nous aussi avons été saisis de vertige en regardant la mer mugir au bas des parois crayeuses d'Etretat, nous voilà délestés du poids trop lourd des mots, heureux de toucher la terre ferme après cette escapade sur les mascarets de la mémoire.

« J'ai trente-et-un ans et peu importe. Je sais le poids des morts. Et je sais le mauvais sort. Je sais la perte et le saccage, le goût du sang, les années perdues et celles qui coulent entre les doigts. Je connais la profondeur des sables, j'en ai éprouvé la résistance, la matière meuble, équivoque. Je sais que rien n'est fiable, que tout se défait, se fissure et se brise, que tout fane et que tout meurt. La vie abîme les vivants et personne, jamais, ne recolle les morceaux, ni ne les ramasse. »
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