Tous les cinq ans, j’ai recours à une sorte de double fictionnel, que je plonge dans de nouvelles aventures. Il s’appelle toujours Paul et vieillit avec moi. De fait, même s’il mène une autre vie que la mienne, il me ressemble beaucoup. Et bien sûr, il est écrivain. Ce sont des livres où je joue beaucoup avec la frontière entre fiction et vérité, où je pratique l’autodérision et met en scène certaines de mes angoisses, sans doute pour les conjurer. Au départ de ce livre il y a cette projection, cette hypothèse du futur. Un auteur qui a connu un certain succès et ne vend plus un livre, plus personne ne s’intéresse à ce qu’il écrit, ni la presse ni les lecteurs. C’est une version romanesque de la chanson d’Alain Souchon. Quand je serai KO… Mais plutôt que d’épiloguer sur les affres de l’échec, des hauts et des bas d’une « carrière » de romancier, ce qui m’intéresse, ce sont les potentialités de fiction que ça ouvre. (Philip Roth disait, à propos de son propre double fictionnel qu’il s’agissait de maintenir l’illusion de l’autobiographie pour mieux décupler les potentialités de la fiction.) Dans Une partie de badminton, ce sont les conséquences concrètes de cette désaffection pour ses livres que j’examine. Paul doit se reconvertir. Endosser le métier de journaliste local (ce qui ouvre la porte à des tas de rencontres, de possibilités d’intrigues). Déménager, alors que sa famille n’y tient pas plus que ça (et ça aura de nombreuses conséquences, plus ou moins graves, qui ouvrent autant de pistes narratives). Revenir dans la région qu’il avait quittée six ans plus tôt. Changer de vie tout en revenant sur ses pas.
Paul Lerner a mon caractère, ma façon d’être et de penser, ma situation familiale et géographique, mon cercle amical, mon itinéraire. Il a écrit mes livres, scénarisé les films sur lesquels j’ai travaillé. Bien sûr il s’agit de me transformer en personnage. J’exagère certains aspects, j’en minore d’autres. Je dis parfois la vérité. Ou bien je la tords. Ou encore je mens comme un arracheur de dent. Je joue avec ça. Je m’amuse à le maltraiter, le malmener, je me moque de lui et donc de moi-même. Ce que je partage avec lui concernant le monde de l’édition c’est un constat : c’est dur de durer, on n’est jamais sûr de rien et surtout pas de l’avenir quand on vit de l’écriture. Et puis bien sûr tout le monde le voit en ce moment, il y a moins d’appétit pour la littérature contemporaine française. Les livres se vendent moins. Et on assiste à un phénomène de concentration extrême de ventes sur une poignée de titres, très médiatisés, « évènementiels ». Il n’y a plus ou presque de « livres du milieu », comme on parle de « cinéma du milieu ». Soit un roman connaît un très grand succès, soit c’est le silence. Il n’y a plus, ou de moins en moins, d’entre deux. Mais contrairement à lui, j’ai de la chance. Celle d’avoir un lectorat fidèle, peu sensible aux aléas de la réception critique et de la médiatisation. Je fais partie des meubles. Et c’est très bien comme ça.
Il arrive que des lecteurs ou lectrices se reconnaissent tellement dans certains personnages que survient une forme de transfert. Ils se disent que l’auteur les comprend mieux que quiconque. Et que ça doit se vérifier en dehors des livres, dans la « vraie vie ». Ca peut parfois déraper. L’autre cas de figure, ce sont les lecteurs ou lectrices qui, à force de vous lire, et d’avoir accès à vos pensées les plus profondes, les plus secrètes, ont l’impression de vous connaître, d’entretenir un lien avec l’auteur qui dépasse celui d’un romancier à son lecteur. Là aussi, les choses se corsent quand ça devient une sorte d’obsession. C’est évidemment très déstabilisant d’être en permanence suivi, épié, harcelé. Pour l’auteur autant que pour son entourage. D’autant qu’en général les choses commencent par un simple échange. « J’aime beaucoup vos livres je m’y reconnais. » « Merci beaucoup. » Et puis il y a des situations vertigineuses, où le lecteur ou la lectrice qui vous piste commence à vous raconter sa vie, et celle-ci semble tout droit sortie de vos romans. Le phénomène d’identification peut parfois se muer en pure affabulation, en manipulation. Vous êtes pris à votre propre jeu. Il n’y a plus de frontière entre la vérité et la fiction. Le lecteur ou la lectrice devient un de vos personnages. Tout ça peut vite devenir très inquiétant.
Paul Lerner n’est jamais véritablement à sa place. Ni géographiquement (il hésite entre le centre et les bordures). Ni socialement (ce que j’appelle « la mélancolie du transfuge »). Mais cette indécision, cette indétermination est une chance. Il n’appartient à aucun milieu, ne peut revendiquer aucune « identité » territoriale. C’est un des buts de l’écriture. En tout cas me concernant. Ne pas se laisser réduire. Enfermer. Déterminer. D’ailleurs, être de nulle part, c’est avoir la chance de pouvoir se glisser partout, d’être à équidistance de tout univers, personnage, situation sociale, lieu etc. Ce qui est une grande force pour un romancier.
Pour autant, les lieux où l’on écrit et qu’on choisit pour décor ont évidemment une très grande importance. Je vis actuellement à Paris mais c’est en Bretagne que j’écris le mieux, que viennent les idées, que beaucoup des choses se débloquent. Et en ce qui concerne les lieux que je choisis de faire vivre dans mes romans, ils sont essentiels. Quand j’ai le lieu j’ai le livre. Un endroit c’est évidemment un décor, une lumière, une atmosphère, mais ce sont aussi des gens, des histoires, une sociologie, une façon à la fois particulière et collective d’être traversé par ce qui agite la société.
Je n’ai pas d’avis sur la famille. On peut y puiser de la force, de l’amour. Ce peut être aussi le lieu le plus toxique qui soit. Un sacré nid de névroses et de douleurs tenaces. Si tous mes livres traitent de la famille c’est parce que je m’intéresse au commun. Aux expériences les plus partagées. Pour la plupart, nous grandissons au sein d’une famille. Et nous en fondons une. C’est le décor premier de nos vies. Si je choisis souvent de mettre en scène un couple avec deux enfants, c’est parce que ça reste la situation la plus commune. Par ailleurs, j’aime travailler sur la paternité. C’est un thème curieusement assez absent de la littérature, ou alors uniquement dans son versant « raté », « problématique » : le père absent qui « rate » ses enfants et essaie de se rattraper mais trop tard. Les atermoiements de l’homme face à la parentalité, etc. Tout ça m’intéresse assez peu. Mais il me semble que l’expérience paternelle est si essentielle dans nos vies qu’elle doit pouvoir être traitée littérairement. Avec ses bons côtés et ses difficultés. Dans ce roman Paul est très proche de ses enfants mais il a constamment peur pour eux, et il sent qu’ils grandissent. Il est déjà nostalgique. Ou nostalgique par anticipation. Et puis avec l’adolescence les relations changent. Il n’y a plus d’amour, de connexion inconditionnelle. On fait face à l’émancipation de ses enfants. On les voit soudain souffrir, se mettre en danger, s’éloigner de nous, etc. Ca occupe une grande place dans nos vies. Et mes livres ne parlent que de ça : la vie comme elle va, comme on la vit.
Chaque couple possède sa vérité. Son dosage de secrets et de partage. Mais même quand on croit tout partager, tout se dire, l’autre demeure inconnaissable. Quelque chose en lui continue à nous échapper, même après trente ans de mariage. Et c’est tant mieux. C’est ce qui maintient le mystère, l’attraction, la fascination.
Dans la plupart des mes livres je cherche à concilier l’intime et le collectif. La petite et la grande histoire. Mes personnages ne vivent pas hors sol. La société et ses fractures, ses tensions, les percutent, comme chacun de nous. Personne ne vit en dehors de son environnement social, personne n’est imperméable au politique dans son sens premier, la vie de la cité. S’alimenter c’est politique. L’éducation des enfants, l’école, c’est politique. Se faire soigner, c’est politique, et ainsi de suite. Et nous sommes tous, en partie au moins, définis par la classe sociale dont nous sommes issus, puis par la place que nous occupons dans la société. Dans ce roman je voulais vraiment que le contexte actuel, les questions qui agitent la société entrent concrètement en collision avec la vie de Paul. Le menacent. Bousculent sa vie. Mettent en péril son emploi, sa sécurité, même. Dans pas mal de mes romans, j’’essaie d’identifier les grands thèmes qui vont cliver la société dans les années à venir. En 2012, avec Les Lisières, je parlais de cette France qu’on dit « périphérique », de son sentiment d’être à la fois majoritaire et oubliée, reléguée, déclassée, non représentée. De sa défiance envers les partis politiques traditionnels, les médias et les « élites » en général. Dans ce nouveau roman, je parle de deux lignes de fractures majeures de la société française. D’une part la friction entre écologie et emploi, préservation de l’environnement et politique sociale. D’autre part de la collision entre crispation identitaire et crise des réfugiés. Je pense que ce sont les deux thèmes qui structureront la vie politique dans les années à venir.
Capitale de la douleur, de Paul Eluard. J`ai commencé par lire, et écrire, de la poésie. Et puis ça m`est passé.
Aucun. Ou tous ceux que j`admire. Mais si je tentais de me comparer aux auteurs que j`aime, je n`aurais jamais écrit la moindre ligne. Ceci dit, savoir que Zlatan existe ou que Pelé a existé n`empêche personne de jouer au ballon dans son jardin…
Victor Hugo. Pas très original mais quand même, Les Misérables, quand vous avez onze ou douze ans, ça claque.
Les nouvelles de Raymond Carver. Sinon, Les Trois Brigands de Tomi Ungerer et tout Claude Ponti, mais ça, c`est parce que j`ai deux enfants et qu`il faut les endormir chaque soir…
Celui de cet ami que je viens de croiser et à qui j`ai assuré que je le trouvais magnifique.
Le bonheur des tristes, de Luc Dietrich.
"Il faut porter sa lumière dans les ténèbres. Personne ne le fera pour nous." Charles Bukowski.
Le nouveau livre d’Arnaud Cathrine, Andrew est plus beau que toi avec the Anonymous Project, chez Flammarion.
Découvrez Une partie de badminton d`Olivier Adam aux éditions Flammarion
Entretien réalisé par Maïlys Le Chêne
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac Accompagnés de Caroline Benz au piano Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main. 112 poètes parmi lesquels : Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko « Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. » Circé Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
Quel acteur tient le rôle principal (Paul) dans l'adaptation cinéma "Des vents contraires", qui sortira à la fin de l'année 2011 ?