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Critique de JH


JH
16 novembre 2012
Trois soeurs habitent un ancien palais sarde dont elles ne possèdent plus que quelques appartements… Elles sont les héritières d'un monde disparu mais leurs histoires entrecroisées, au présent, tournent toutes autour de leur quête d'amour, chacune à sa manière… Noémi l'aînée, celle qui voudrait comprendre le monde par la « systémique », rêve de récupérer les fastes et splendeurs d'antan, c'est-à-dire aussi plus prosaïquement de parvenir à racheter la totalité du palais et de le restaurer tel qu'il fut un jour… mais elle menace d'être vieille fille et quand elle aime Elias, un berger beaucoup plus jeune qu'elle sa rencontre avec l'amour tourne vite à la tourmente : tantôt elle se tourmente à rationaliser (« il ne m'aime que par intérêt ») tantôt elle se tourmente à le harceler, vouloir toujours plus, à désespérer de ses absences et de son engagement mitigé, car le bel Elias aime aussi beaucoup les jeunes filles très, très jeunes et ne veut pas s'attacher, se fixer… L'amour donne à Noémi ses plus beaux moments, embellit et rénove sa vie mais il est aussi incompréhensible, imprévisible, imparfait…. Maddalena, la seconde, elle aime son mari Salvatore qui l'aime lui aussi… Ils s'aiment d'amour, et le récit abonde en belles descriptions de rencontres charnelles entre eux... mais l'érotisme heureux a son bord de frustration : ils ne parviennent à avoir d'enfants, en perdent un dans une grossesse avortée et reportent sur un chat leur désir d'enfant en souffrance… Une manière de montrer toujours l'incomplétude, l'insatisfaction, partielle mais inévitable… La plus jeune enfin est appelée Comtesse de Ricotta, car elle est molle et sans doute délicieuse comme ce succulent fromage italien, elle ne réussit rien, elle est bonne aussi, elle veut aider tout le monde, elle rencontre beaucoup d'hommes, a un fils Carlino qui ne fait bien qu'une chose, jouer du piano, et puis s'éprend de son voisin, un homme qui semble gentil et pris dans un chagrin d'amour pour une belle violoniste virtuose, sans doute son épouse, qui a quitté il y a peu son domicile…. La magie un peu surréelle de ce récit tient à l'absence totale d'agressivité ou de réalisme descriptif dans la psychologie des personnages… avec pourtant en contre-point une douce flânerie autour des méandres des espérances amoureuses, "un étrange, un absurde espoir de bonheur ».…. Amour, amour, quand tu nous tiens…. Amour, amour, tu fais courir le monde, toi seul l'enchantes, toi seul illumines ce monde qui ne pourrait être sinon que qualifié d'absurde et privé de sens… Milena Angus dit à sa manière, poétique, par moment sensuelle, par moment allusive, le besoin et les rêves d'amour, la magie des coeurs qui battent la chamade, mais elle le dit aussi prosaïquement, car voici les dernières phrases du livre :
« Parce que faire l'amour avec la personne qu'on aime, on a beau dire, c'est magnifique.
Et voler, et atterrir, et viser la piste sans s'écraser, ça aussi ça doit être magnifique ».
Qualifiera-t-on cela de poétique? de prosaïque ? C'est sans doute dans cet entre-deux et indéfinissable que résident les épices singulières de ce style.

Un tout petit livre d'une centaine de pages dont le charme réside dans ce ton très particulier, allusif et charnel, qui a des affinités avec le réalisme magique latino-américain et une ambiance poétique dont je dirais qu'elle parvient à n'être ni réaliste ni surnaturelle tout en étant quand même un peu des deux, peut-être un peu dans l'esprit du « Festin de Babette »…

Ce roman de Milena Agus tient du réalisme du monde charnel par son goût pour les aliments, les couleurs, les objets anciens : le lecteur a le goût du monde réveillé à l'évocation de ces mets succulents dont on régale les coeurs meurtris ou des évocations rapides mais belles de paysages, objets ou lieux, souvent passés. Il tient aussi du surnaturel, de la magie ou du réalisme magique par le ton léger, aérien, avec lequel il décrit l'univers fragile et déjanté des trois comtesses. Il me semble que l'art de ce livre réside essentiellement dans son ton très particulier, et peut-être la lecture en italien – même si la traduction est correcte – est-elle encore plus charmante qu'en français.

Un petit livre que j'ai lu d'une traite, dont je comprends très bien qu'il ait beaucoup plu et rencontré de nombreux lecteurs, un petit livre pour lequel je ne vais pas bouder mon plaisir mais qui pourtant ne me séduit qu'à moitié… J'en admire le ton, la légèreté, j'apprécie cet hymne à l'amour sans idéalisation, mais n'y trouve qu'une nourriture malgré tout fort frugale, comme une ritournelle certes charmante mais qui demeure privée de bien d'autres harmoniques de l'âme….

Un joli livre dont il me semble que, le charme d'une lecture agréable, rapide et légère passé, on a vite fait le tour….
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