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Critique de Kirzy


Un père, hospitalisé, en fin de vie, une amnésie qui s'installe, à son fils : « Dis moi qui était celui que j'étais. »

Un fils qui y voit là la dernière chance de reconquérir une mémoire perdue, et propose d'improviser une « joute verbale de souvenirs » dans l'espoir de faire enfin connaissance avec ce père qui s'est tu sur son passé durant toute sa vie.

Le père, c'est Rami, né en 1944, opposant politique irakien qui a fui son pays en 1972 pour s'exiler en France où est né fils, Euphrate ( double de l'auteur, Feurat ) en 1980.

Le récit alternant les passages liés au passé de Rami avec ceux liés à Euphrate. Entre Irak et France, les souvenirs se répondent pour reconstituer une histoire familiale qui touche profondément. Au coeur du récit, le continent perdu de l'enfance refait surface : celle douloureuse de Rami marquée par la mort de sa mère et l'arrivée d'une terrible marâtre, puis les années de militantisme trotskiste pour s'opposer à la dictature Baas ; celle d'Euphrate troublée par la gravité d'un père dur et taiseux, par la solitude de celui qui ne sait pas d'où il vient et voudrait faire de la « décalcomanie identitaire » pour être comme ses petits voisins maghrébins ou portugais d'Argenteuil.

Ce récit intime et introspectif se double d'une plongée sensible dans l'histoire de l'Irak, la vie de la famille exilée étant rythmée par les soubresauts chaotiques du pays : de 1958, chute de la monarchie hachémite avec le coup d'Etat du général Kassem, à 2003 chute de la dictature de Saddam Hussein qui entraine administration américaine et nouvelle guerre civile avec la montée de Daesh, en passant par l'Opération Tempête du désert en 1991 avec son embargo total. Feurat Alani fait voir, entendre, sentir le drame vécu par l'Irak, sans répit, avec une fluidité qui ne tombe jamais dans le didactisme asséné lourdement.

Son travail sur la mémoire et la transmission est fort et touche au coeur. Animé par l'urgence de sa quête identitaire, le fils finit par déterrer les secrets confisqués par son père et obtenir des réponses, jusqu'à une terrible révélation. La complexité de cette mémoire à retrouver est incarné par l'Euphrate, ce fleuve qui traverse l'Irak et donne son nom au fils / auteur : un fleuve tumultueux, fait de méandres, de profondeurs, de pièges mais aussi de rives protectrices et d'eaux claires.

Comme le montre ses dernières pages quasi philosophiques, Feurat Falani a conscience de l'éphémère de la condition humaine et de la nécessaire humilité à adopter face à la mémoire d'un homme et celle d'un pays. Les plus beaux passages du roman sont sans doute ceux qui réveillent de lumineuses sensations d'enfance par la réminiscence sensorielle d'une odeur, celle de la cardamone, ou d'une saveur, celle de la glace à l'abricot que l'enfant de neuf ans découvre avec émerveillement lors de son premier voyage en Irak, en 1989.

Lecture à compléter avec la lecture du roman graphique Parfum d'Irak ( couronné du Prix Albert Londres 2019 ) et le visionnage de la webserie qui ont précédé le roman, les deux sont remarquables : https://www.youtube.com/watch?v=sfxcOGkpGag

Lu dans le cadre du Coup de coeur des lectrices Version femina, mars 2023






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