Roman graphique d`un genre singulier, Parfum d`Irak est constitué des 1000 tweets que Feurat Alani a postés sur Twitter durant l`été 2016, poussé par la nécessité de raconter "son Irak". L’auteur nous livre ses souvenirs avec émotion, depuis son premier séjour en Irak à l`âge de 9 ans jusqu`à sa décision de devenir journaliste pour couvrir la guerre sur place.
J`ai effectivement ressenti le besoin de parler de mon Irak de toute urgence à l`été 2016. Une urgence certainement conséquente aux nombreuses sottises que je lisais sur l`Irak, en particulier sur Twitter. Un réseau social devenu média incontournable avec l`expertise que confère Twitter à certains margoulins des mots en -isme, comme djihadisme, terrorisme ou islamisme. Ce n`est vraiment pas par animosité envers ces personnes qui, après tout, ont le droit de s`exprimer. Mais j`avais envie de rééquilibrer l`information sur l`Irak, en l`humanisant. Et vite.
C`est justement la raison pour laquelle j`ai choisi Twitter. Je n`ai jamais cru que la complexité était compliquée. Il faut juste du temps et de la longueur. C`est ce que j`ai essayé de faire en imposant une chronologie, un récit au temps long, en prenant le temps de raconter des choses du quotidien qui ont du sens. C`est ce que l`on appelle « raconter la petite histoire pour raconter la grande ». La deuxième raison est l`accessibilité sur Twitter. Tout le monde peut lire tout et n`importe quoi. J`ai misé sur un temps long pour « fidéliser » une communauté. Et ainsi livrer un témoignage brut, accessible et simple.
Si j`ai beaucoup de défauts, j`ai au moins une qualité, c`est la mémoire. Je me souviens des détails, des visages, des odeurs, des lieux, même après plusieurs décennies. Peut être parce que j`ai moi même le souci du détail. Et certains évènements, notamment en Irak, m`ont marqué depuis tout petit. Et puis avec ma soeur, on aimait bien se remémorer nos histoires irakiennes que l`on ressassait autour de photos de famille. Ensuite, il y a aussi un effort de reconstitution. Un petit souvenir va en entraîner un autre, puis un autre, jusqu`à reconstituer le jour, l`heure, ou le moment où se déroule un chapitre de cette histoire.
J`ai toujours pris ces différences comme d`utiles compléments à mon identité. Certes, l`identité est complexe et se construit à travers des expériences, mais la culture familiale est tout aussi importante. Cela paraît bateau, mais savoir d`où l`on vient est le socle pour construire son être. Que l`on soit d`origine irakienne ou bretonne, je pense qu`il y a le même besoin de prendre en considération son origine, et tout simplement essayer de prendre ce qu`il y a de meilleur. C`est un atout, j`en suis persuadé. Je me sens aujourd`hui à l`aise dans différentes situations sociales ou culturelles. Aussi bien à une tablée de membres de tribu à Ramadi que dans un restaurant parisien. Pour revenir à l`Irak, tous ces points de vue, de l`enfance à l`âge adulte, ma vision de petit français qui découvre le pays de ses parents, sont non seulement essentiels mais je crois apportent une richesse à mon regard. On dit que comparaison n`est pas raison. C`est vrai. Il ne faut pas comparer, il faut inclure.
Au départ, je n`ai honnêtement pas vraiment réfléchi à la structure. Ma mémoire est d`abord olfactive. Quand je pense à l`Irak de mon enfance, j`ai le goût de cette glace à l`abricot dégustée à Bagdad qui me revient. C`est ma madeleine de Proust. Elle m`aide à m`approprier le récit, à étendre le fil de l`histoire. C`est aussi un moyen pour les lecteurs de s`approprier cette histoire, de la même façon. Avoir des références gustatives, olfactives, visuelles, auditives permet d`entrer dans l`histoire comme au cinéma. Je ne sais pas si c`est réussi, mais c`était l`objectif.
Léonard Cohen et moi nous sommes rencontrés à l`agence Capa où nous travaillions pour la même émission, L`Effet papillon. J`étais reporter, il était illustrateur et avait brillamment réussi à mettre des chiffres en image. Cette rubrique s`appelait le chiffroscope. Pour l`Irak, c`est surtout des chiffres que nous voyons circuler. le nombre de morts suite à des attentats. Mais derrière ces chiffres mortuaires, il y a des vies. Et comme il s`agit de ma propre histoire, hormis quelques photos de famille et des souvenirs, je n`ai pas d`autres moyens d`illustrer tout ça. C`est là où Léonard apporte sa créativité artistique et visuelle. Léonard ne connaît pas l`Irak. Son regard extérieur fait du bien au récit. Il équilibre la réalité et l`imaginaire. Ces histoires sont vraies mais elles ont besoin aussi d`un miroir, non pas déformant, mais fantasmagorique à certains moments. Que l`on puisse aussi se projeter avec son imagination dans cette réalité qu`est mon expérience en Irak.
En écrivant cette histoire, j`ai d`abord pensé aux Irakiens. Ma famille bien sûr, mais aussi tous ceux que j`ai rencontrés là-bas, enfant, adolescent puis adulte. J`ai une dette envers eux. J`ai une dette envers ma famille qui m`a accueilli les bras ouverts malgré les circonstances, dans les moments de joie comme dans les périodes troubles. Je leur dois mon identité. J`ai bien sûr beaucoup pensé à mon père, à ma mère, à ma soeur, mes compagnons de route. J`ai aussi pensé à ceux qui ne connaissent pas l`Irak, et qui peut être sont à tel point abreuvés de dépêches froides et chiffrées qu`ils refusent désormais de les lire et d`en apprendre plus sur l`Irak. J`ai cherché à sensibiliser et à rendre la complexité de l`Irak plus lisible, de manière presque pédagogique. Enfin, j`aimerais que les Irakiens puissent voir cette série en arabe, qu`ils puissent lire ce livre, qu`ils puissent me comprendre.
Des livres de voyageurs comme Nicolas Bouvier, ou plus anciens encore, Henry de Monfreid et ses aventures en mer rouge. Les voyageurs ont tous en commun d`avoir quitté une vie, un système, de se confronter au monde. Cela m`a donné envie d`écrire. Dans un autre registre, Agatha Christie, aussi a contribué à mon envie d`écrire.
1984. Je suis fasciné par George Orwell. (on retrouve un cadre dystopique dans le parfum d`Irak au début du récit sur le régime de Saddam Hussein).
J`ai par ailleurs adoré son livre autobiographique, qui a précédé 1984, et qui s`intitule Dans la dèche à Paris et à Londres.
Le vieil Homme et la mer. C`est le premier roman « sérieux » que j`ai lu.
Au risque de surprendre, le seigneur des anneaux de Tolkien. Et L`alchimiste de Paulo Coelho. J`ai dû les relire 4 ou 5 fois.
Frankenstein à Bagdad. Ahmed Saadawi. Écrivain irakien talentueux.
Le Procès de Franz Kafka. Je n`ai pas réussi à rentrer dans l`absurde de l`histoire. J`ai trouvé ça long.
« La guerre c`est la paix. La liberté c`est l`esclavage. L`ignorance c`est la force » - George Orwell.
Je lis trois livres à différents moments de la journée. D`abord, Villes de sel : L`errance d`Abdul Rahman Mounif, écrivain saoudien qui raconte le passage de l`ère désertique à l`ère pétrolière en Arabie Saoudite et toutes les conséquences que cela a engendré sur les plans économique, social et politique. Tellement de notre époque et d`actualité…
Je lis aussi un livre sur le journalisme constructif à l`ère des « fake news ».
Et enfin le livre autobiographique de Costa Gavras, Va où il est impossible d`aller. J`ai eu l`occasion de le rencontrer. Nous nous sommes échangés nos livres respectifs et avons beaucoup parlé de l`Irak.
Découvrez Le Parfum d’Irak de Feurat Alani, une coédition Arte Editions et Editions Nova :
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