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Critique de MaiteBravo


Je ne crois pas qu'on puisse faire une lecture objective d'un roman. En tout cas, je ne crois pas qu'on soit sur Babelio pour être objectif. Je crois qu'on y est par passion, parce qu'on ne peut pas se passer de lire et qu'on est avide de découvrir d'autres romans. Ceci posé, je ne suis vraiment vraiment pas objective sur "Manèges". Il se trouve que je n'ai que quelques années de différence avec l'auteur, et qu'à peu près au moment où elle quittait l'Argentine pour la France, je quittais la France pour l'Argentine. Elle y raconte un épisode de son enfance, quand elle avait sept ans, avant l'arrivée de Videla au pouvoir. Son père, opposant politique au régime de la seconde femme de Peron, était en prison, et sa mère vivait en clandestinité. Laura Alcoba a donc dû changer de prénom, de nom, d'école, de quartier, et vivre dans une maison isolée avec sa mère et d'autres montoneros, un des deux groupes majeurs d'opposition. Il se trouve aussi que j'ai moi-même écrit un roman ("Et toujours en été") qui parle justement de ses enfants de "révolutionnaires" devenus grands, de la façon dont ils ont essayé de se construire sur l'exil, les disparitions et les silences. Je tiens à préciser que je ne parle jamais de mes romans quand je poste des chroniques sur Babelio, mais qu'après deux jours de réflexion, j'ai décidé d'arrêter de me demander comment parler de ce livre de façon objective. J'ai terriblement envie de donner envie de le lire, et j'ai pensé à des accroches genre "Si vous avez aimé La Garçonnière, d'Hélène Grémillon, lisez ce livre!", "Si vous avez aimé les romans d'Elsa Osorio, lisez ce livre!", mais je crois que c'est une erreur. Vous voyez, une des phrases qui m'a le plus émue dans "Manèges" est presque anodine. "Des années plus tard, bien après le retour à la démocratie, mon père, qui était libre depuis longtemps déjà -il a été libéré quelques mois avant la guerre des malouines, comme beaucoup de prisonniers politiques relâchés au moment où la dictature commençait à s'effondrer-, m'a tendu un livre, en me disant "Tiens, là-dedans on parle de la maison où tu as vécu avec ta mère". Il n'a rien dit d'autre. C'est que nous avons beaucoup de mal à parler de tout ça". Voilà pourquoi j'ai eu brusquement les larmes aux yeux, à cause de ce bout de phrase "C'est que nous avons beaucoup de mal à parler de tout ça". J'ai moi-même beaucoup de mal à parler de tout ça. J'ai caché pendant des années que j'avais vécu en Argentine tant je redoutais les questions, et je me souviens, quand j'ai fini "Et toujours en été", qui a été, de tous mes livres, celui que j'ai eu le plus de mal à écrire, je me suis dit que je n'avais fait qu'effleurer ce que je voulais vraiment dire, que je ne l'avais peut-être même pas approché. Je pense parfois que je n'y arriverai jamais, ou en tout cas que je n'y arriverai jamais seule, que ce que j'essaie de dire est disséminé dans tout un tas de romans, et que "Kamchatka" de Marcelo Figueras, et "Manèges", sont une partie de ce puzzle. 130 pages, une dernière phrase magnifique, je ne saurais que trop recommander, sans aucune objectivité donc, la lecture de ce livre.
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