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Critique de Stockard


Force est de constater que depuis la constitution des États-Unis d'Amérique par les Pères Fondateurs, les Africains-Américains occupent une place incommodante sur ce territoire. En fait, on aimerait bien qu'ils n'y soient plus, ou plutôt si, qu'ils soient là mais uniquement quand on a besoin d'eux. le reste du temps, puisque malgré les moyens employés ils persistent à s'incruster, ils demeurent les victimes permanentes d'un système de caste raciale qui ne cesse de se réinventer dès que celui en cours (esclavage, lois Jim Crow, ségrégation...) tombe sous le coup de la loi. On a ainsi pu voir chacune de ces idéologies méphitiques tour à tour interdite jusqu'à ce qu'enfin toute discrimination soit déclarée illégale. Et voilà, fini le racisme, terminé, out, on en entendra plus parler, pas trop tôt.

A moins que...
Quand en 1982 Ronald Reagan déclare la guerre à la drogue, cette fameuse « drug war » déjà initiée par Nixon et qu'il reprit d'une main de fer, on imagine aisément la satisfaction enfantine du ronaldus magnus, trop content d'avoir trouvé une nouvelle formule le faisant totalement passer sous les radars du ségrégationnisme. Parce que ne nous y trompons pas, quand Reagan parle de faire la guerre à la drogue (drogue = crack, dont de plus il se foutait royalement et qui n'était pas un problème majeur aux débuts des années 80) et aux criminels, ce qu'il sous-entend et que tout le monde comprend, c'est : "guerre aux nègres" ! Mais rien dans son discours n'étant racisé, il sera impossible de prouver quoique ce soit. Et voilà, un nouveau système de caste raciale vient tranquillement de se mettre en place. Parce que si la discrimination raciale est maintenant hors-la-loi, la discrimination envers les criminels, elle, est tout ce qu'il y a de légale, mieux même elle est encouragée. Suffit donc de laisser entendre que tous les Africains-Américains (et Latinos, pas de jaloux) sont des criminels potentiels et voilà le travail ! Bien joué l'acteur de seconde zone !
Plus qu'à attendre que ça prenne dans l'opinion publique et en effet, ça ne traîne pas. Politiques et médias n'ayant pas de scrupules à vendre ces insinuations tacites en martelant des communiqués sur une prétendue criminalité en hausse dont seraient uniquement responsables les Africains-Américains (c'est dans leurs gènes, que voulez-vous), les sempiternelles images biaisées des journaux télévisés et des discours gouvernementaux arriveraient presque à nous faire avaler cette couleuvre obèse enceinte de triplés : drogués = criminels = Noirs.
Donc, sans se poser la moindre question on accepte l'idée qu'une simple pigmentation de peau changerait intrinsèquement les valeurs humaines ? le fait d'avoir la peau foncée pousserait à se droguer, tuer, voler, violer, etc ?
Michelle Alexander a vite fait d'envoyer dinguer ces niaiseries et en profite pour rétablir la vérité au passage : ce qui pousse la plupart des Africains-Américains à commettre des crimes est la contrainte sociétale qui les parque dans des ghettos, leur refuse études et emplois décents, les traite comme des citoyens de seconde zone et autres joyeusetés, le tout finissant par former le cocktail explosif espéré et hop, plus qu'à ouvrir grand les prisons et attendre tranquillement qu'ils viennent les peupler.

Pour preuve de ce qu'elle avance : à crime égal dans le trafic et la consommation de drogue, un Blanc ne sera pratiquement jamais inquiété, une tape sur les doigts faisant largement l'affaire. Pour un Noir par contre, s'il se fait choper (ou pas d'ailleurs, suffit de le soupçonner et c'est déjà bien suffisant) il peut commencer à faire ses adieux à ses proches, il n'est pas près de revoir la lumière du jour sans barreaux pour lui gâcher la vue.

♫ If an officer stops you
Promise me you'll always be polite ♪ ♪
♪ ♫ And that you'll never ever run away
Promise Mama you'll keep your hands in sight ♫ ♫

A l'instar des bavures policières n'impliquant presque jamais l'assassinat de caucasiens, la guerre contre la drogue n'a que faire des dealers blancs, d'ailleurs il est bien précisé que le fléau étant avant tout le crack, drogue d'Africains-Américains en général rapport à son prix plus abordable, à l'inverse la cocaïne étant plutôt réservée aux Blancs, elle est assez bien tolérée dans le système judiciaire américain. Mais bon, du calme, c'est sûrement une coïncidence.

En conclusion, La Couleur de la Justice est une étude solide et réfléchie s'appuyant sur des statistiques vérifiées (et vérifiables) dont la critique démonte les croyances en un système qui se prétend juste et équitable, laissant sa chance à tout le monde à partir du moment où on ne s'écarte pas du droit chemin. Foutaises, nous dit Michelle Alexander et au vu des faits et de l'enquête qu'elle a menée, faut être costaud moralement pour ne pas perdre espoir ; comment combattre un tel système ? Les minorités devront-elles donc toujours se faire avoir ?
A lire en parallèle de « 13th », fabuleux documentaire d'Ava DuVernay (qu'il faut voir absolument) et qui reprend, images d'archives et illustres intervenants à l'appui (Michelle Alexander bien entendu, Angela Davis, van Jones, Bryan Stevenson, etc...), toutes les vérités énumérées et étayées dans cet admirable essai, véritable manifeste à la refonte de tout un système pénal détestable et criminel avec lequel il serait plus que temps d'en finir !
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