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Critique de Alcapone


Élue Prix Nobel de Littérature 2015 pour l'ensemble de son oeuvre, Svetlana Alexievitch a travaillé tout au long de sa carrière sur la mémoire de l'ère soviétique en collectant de nombreux entretiens auprès de témoins « ordinaires ». Plus littéraire qu'historiographique, son travail s'intéresse davantage à l'âme humaine qu'aux faits purement historiques : « J'ai toujours été tourmentée par le fait que la vérité ne tient pas dans un seul esprit. Qu'elle est en sorte morcelée, multiple, diverse, et éparpillée de par le monde. (...) Qu'est-ce que je fais ? Je recueille les sentiments, les pensées de tous les jours. Je recueille la vie de mon époque. Ce qui m'intéresse, c'est l'histoire de l'âme. Ce dont la grande histoire ne tient pas compte d'habitude, qu'elle traite avec dédain. Je m'occupe de l'histoire laissée de côté. (...) Il n'y a pas de frontières entre les faits et la fiction, les deux se chevauchent. Même un témoin n'est pas impartial. Quand l'homme raconte, il crée, il lutte avec le temps comme le sculpteur avec le marbre. Il est un acteur et un créateur. » (p. 663-664, extrait du discours de Stockholm lors de la remise du prix Nobel à Svetlana Alexievitch). La fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement réunit ainsi des dizaines d'entretiens collectés depuis les années 1980 après le démantèlement de l'URSS sous l'ère Gorbatchev.

De la fin de l'Homo Sovieticus dont il est ici question, il existe autant d'interprétations qu'il y a de témoins. Parmi les riches entretiens retranscrits par Svetlana Alexievitch, il y a par exemple ceux des fidèles au Parti et ceux qui croyaient à la nouvelle Russie de Gorbatchev. Il y a les témoignages des victimes et ceux des bourreaux. Il y a les témoignages de ceux qui ont choisi. Et de ceux qui n'ont pas choisi. Il y a les récits sur l'utopie communiste et ceux sur la Perestroïka et la Glasnost. Dans cette Fin de l'homme rouge, il est aussi question des goulags, des komsomols, de bonheur perdu mais aussi d'espoirs contrariés, de craintes légitimes ou encore de trahisons infâmes. Entre regrets, colère, révolte, tristesse, nostalgie, amertume et parfois remords, tous ces récits qui ont pour point commun la souffrance, démontrent que l'Homme n'est pas exclusivement conditionné par le Bien OU le Mal mais qu'il est confronté aux deux toute sa vie : qu'il ait (eu) ou non le choix d'arbitrer ses décisions, le « petit homme » auquel s'intéresse Svetlana Alexievitch est « un grand petit homme (...) car la souffrance le grandit. (...) Il raconte lui-même sa petite histoire et, en même temps que sa propre histoire, il raconte la grande histoire » (p. 664). Lecture difficile s'il en est, cette Fin de l'homme rouge a ceci de puissant en ce qu'elle interpelle en chacun de nous. Il ne s'agit donc nullement de visions romantiques exclusivement guidées par l'amour des lettres ou le besoin de création littéraire mais de témoignages concrets dont la collecte n'a été possible que grâce à l'instauration d'une relation de confiance. Aussi, parce que lire est un acte militant, se pencher sur les travaux de Svetlana Alexievitch, c'est faire preuve d'ouverture d'esprit : cela offre d'intéressantes pistes de réflexion sur ce processus qui dicte la mainmise d'une minorité agissante sur la majorité passive. Une lecture éprouvante qui ne manque pas de questionner nos façons de penser et qui doit bousculer nos convictions...
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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