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Critique de Isacom


Avez-vous déjà entendu parler des "coûts irrécupérables" ? "Par exemple, un spectateur au cinéma qui trouve le film très mauvais, hésitera à quitter la salle avant la fin du film pour ne pas gâcher l'argent dépensé pour son billet. Mais si un ami lui a donné le billet gratuitement, le même spectateur n'hésitera alors généralement pas à partir. Les deux décisions sont pourtant exactement équivalentes." (Wikipédia)
Connaissez-vous la théorie de l'engagement ? Elle est définie comme "la tendance que nous avons à maintenir un comportement, une fois initié par un acte ou une prise de décision, même si les raisons qui ont motivé cet acte ou prise de décision ont disparu entre-temps". (Hacking-social)
Tout ça pour dire que...
Plus le coût au départ est élevé... plus on s'est investi dans quelque chose... et plus c'est difficile d'y renoncer.
Cette technique de manipulation mentale résume tragiquement l'histoire de l'URSS.
Combien de fois trouve-t-on le mot "sacrifice" dans les propos recueillis par Svetlana Alexievitch ? (Pas autant de fois que "saucisson"... mais beaucoup de fois tout de même.) Tant de sacrifices ont été demandés aux Soviétiques pour construire un monde meilleur, qu'il leur est devenu impossible de renoncer à cet idéal ; impossible même d'ouvrir les yeux. On les a éduqués au sacrifice, depuis tout petits.
Lorsque Gorbatchev a entrepris des réformes, beaucoup les lui ont reprochées.
Lorsque l'armée a tenté un putsch pour le destituer, beaucoup l'ont approuvé, comme un retour à l'ordre naturel des choses.
Ces mêmes Soviétiques, ou leurs parents, avaient fermé les yeux sur les pratiques totalitaires, sur la terreur stalinienne, sur l'Holodomor, la famine organisée pour vaincre la résistance ukrainienne à la collectivisation.
Ces mêmes Soviétiques, ou leurs parents, ont sacrifié leurs vies au son des chants patriotiques dès leur plus jeune âge. Ils et elles ont exulté devant les parades militaires, ont pleuré d'émotion devant le tombeau de Lénine, ont vénéré Staline.
Mais leurs enfants, eux, ont voulu des jeans, des Marlboro et des magnétoscopes.
La fin du Parti communiste, l'explosion de l'URSS, l'irruption de la loi du marché et la paupérisation qui s'est ensuivie ont été de tels traumatismes... que Vladimir Poutine semble n'avoir eu qu'à apparaître, pour cueillir la plus grande partie de la population russe : les nostalgiques du communisme comme la jeune génération capitaliste.
Et avec une immense compassion pour toute cette humanité déboussolée, Svetlana Alexievitch donne la parole tour à tour à chacun et chacune, dans cette oeuvre si poignante et si éclairante.
"Vous, vous êtes un écrivain, vous comprendrez ce que je veux dire : les mots n'ont pas grand-chose à voir avec ce qui se passe à l'intérieur."
Eh bien si : Svetlana Alexievitch, par la puissance de ses mots, nous montre l'intérieur.
Traduction impeccable de Sophie Benech.
Challenge Nobel
LC thématique d'août 2022 : "Lire en couleurs"
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