à l’imparfait de l’objectif et au plus-que-parfait du subjectif, la photographie est une écriture de lumière qui témoigne avec élégance au procès du vol sur le temps
Il n’y a pas de bons ou de mauvais
sujets, il n’y a que la qualité du regard
qui se pose sur eux.
Jeanloup SIEFF.
Je m’affairais dans le studio lorsqu’elle entra, somptueusement habillée et pieds nus. Elle observa l’arrangement de mes lumières avec attention et déclara : « Ah monsieur, si on pouvait encore éclairer les films ainsi que vous le faites ! » J’étais tétanisé de bonheur. Elle venait de me délivrer le plus beau des compliments. Non seulement elle appréciait en connaisseuse l’éclairage que je venais de monter, mais Isabelle Huppert encourageait également mes aspirations à retrouver l’atmosphère magique d’Harcourt…
Je n’aimais pas beaucoup cette femme. Incapable d’affronter directement son tyrannique époux, elle résistait d’une manière sournoise, entretenant autour d’elle un climat délétère de suspicion et de ragots. En dépit de cela, elle me fit de la peine à cette occasion, abandonnée sur le quai avec sa valise et priée de réintégrer le foyer conjugal par ses propres moyens.
Les tendres roucoulements des deux tourtereaux mirent le grand-père Allard en fureur. Il était ce qu’on appelle pudiquement une forte personnalité afin de ne pas avouer qu’il se comportait en tyran, exerçant une domination sans partage sur son entourage. Il interdit à mon père d’épouser la belle Ginou, rêvant d’un mariage certainement plus princier pour l’héritier dynastique.
Le photographe ne réussit jamais à me faire adopter une autre position que celle qui me tournait vers l’éclairage. J’étais ensorcelé.
Cette fascination pour la lumière ne m’a plus jamais quitté.
La photo, quant à elle, était affreuse. Plate, sans modelé, elle témoignait du déclin du Studio Harcourt, mis à mal par l’évolution de la profession et du style de vie. Le goût des portraits théâtralisés disparaissait au profit d’instantanés pris sur le vif. La « Nouvelle Vague » bouleversait les codes cinématographiques, imposant une préférence esthétique plus proche de la réalité. L’arrivée sur le marché des appareils réflex japonais destinés aux particuliers désacralisait la toute puissance du photographe professionnel chez lequel on allait religieusement immortaliser les étapes importantes de l’existence.
Dans la vie, il faut des rêves
suffisamment grands pour ne pas les
perdre de vue quand on les poursuit.
Oscar WILDE.