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Critique de HordeDuContrevent


L'art subtil du suspense avec trois fois rien…La bête humaine toujours en tapinois…

Les romans de Vincent Almendros me font penser à de petits et jolis napperons en dentelle…Tous ont pour point commun d'être des romans très courts et tous font du malaise sournois et de l'angoisse diffuse, leurs matières premières essentielles, fibres que l'auteur entrelace avec subtilité. Tous utilisent l'art de l'ellipse et une écriture sobre, minimaliste : derrière l'apparence de banalité sourdent l'angoisse et la violence. Ce sont ainsi de petites pièces travaillées, regorgeant de silence, de vide, pour former un ensemble délicat et sobre. Chaque pièce a son climat, son ambiance singulière.
D'ailleurs ces livres semblent quelque peu liés, « Ma chère Lise » « Faire mouche » « L'été » « Sous la menace », gageons que son prochain livre aura pour titre « de l'orage », ou bien « Des ombres »…Je lance les paris.
Quelle que soit la destination, je suis chacun des petits cailloux d'humour noir semés par l'auteur avec toujours le même plaisir. On ne sait jamais trop à quoi s'attendre en ouvrant un livre de Vincent Almendros, si ce n'est que la bête humaine en tapinois, la vigilance est de mise.

« Faire mouche », paru en 2018, est le livre qui, du fait de son atmosphère oppressante et étrange, m'a le plus marquée. Celui dont la chute est la plus abrupte. Derrière la banalité d'une virée dans la campagne de son enfance, le passé encombrant d'un homme se révèle petit à petit, par petites touches progressives, aplats de couleur se superposant, révélant tout doucement un tableau sur lequel brille l'horreur.
Dans ce dernier opus, Vincent Almendros choisit comme personnage principal un adolescent, Quentin, en pleine puberté, gêné par la façon dont se modifie son corps, qui va, le temps d'un week-end, être enfermé dans le monde des adultes, huis-clos familial dans lequel il doit obéir à une mère sèche et qui semble ne plus pouvoir le supporter. Avec elle l'ambiance est tout simplement glaciale, ce d'autant plus qu'il risque de se faire exclure de son collège pour s'être battu avec un camarade.
Entre la tempête hormonale qui a lieu en lui, le désarroi face aux transformations de son corps, les non-dits et les secrets qu'il comprend confusément, l'attitude maternelle qui le rabaisse et le nie, Quentin ressent une violence qui parfois vibre autour de lui…
En tout cas ce week-end, avec sa cousine de onze ans, ils partent chez les grands-parents paternels et comptent aller au cimetière rendre visite à son père mort six ans auparavant. Un week-end qui sera pour le jeune garçon un moment de tragique prise de conscience qui le fait sortir définitivement de l'enfance.

« Ma voix avait changé. Des poils duveteux dessinaient sous mon nez les prémices d'une moustache et de rebutants boutons me mangeaient le visage. Depuis le début de l'année, on se moquait de moi au collège Irène-Joliot-Curie. Ma mère, elle, ne me supportait plus. Elle se méfiait et, même, m'avait à l'oeil après ce qui s'était passé dans le vestiaire du gymnase. J'avais intérêt à bien me comporter durant le week-end chez mes grands-parents.
Pour être honnête, je la comprenais. Mes camarades et elle avaient raison. Avec l'arrivée de la puberté, j'étais en train de devenir un monstre ».

Ce que j'aime chez cet auteur c'est sa façon de distiller le malaise dans les moindres détails. Même le poisson que l'on s'apprête à cuisiner nous met mal à l'aise…Chaque scène a son lot de tension, Vincent Almendros les orchestre en en modulant savamment la dose. Et à chaque page, nous nous demandons si le pire va arriver…ou pas. Parfois il suffit d'un mot, en passant, pour déceler ce qui se joue vraiment alors qu'il ne se passe apparemment quasiment rien. « J'ai déraillé »…Véritable jeu de pistes, la densité du style, de l'écriture, des mots, fait naitre la perception de la tension…

« Entaillée de coupures roses faites délicatement dans la chair avec la lame d'un couteau, sa peau grise et blanche luisait d'huile. Sa bouche, entrouverte sur de fines dents acérées, donnait l'impression qu'il essayait de dire quelque chose et son oeil, d'un noir profond et cerclé de nacre, avait l'air de me regarder.
Allez, sois gentil, me dit ma grand-mère, va porter ça dehors à ton grand-père.
Je pris le plat qu'elle me tendait, à l'intérieur duquel le gros poisson fuselé était étendu sur le flanc, puis sortis par la véranda ».


« Sous la menace » est ainsi un huis-clos familial dans lequel la tension est palpable à chaque phrase grâce à une écriture travaillée, minimaliste et sobre, mettant en valeur les affres de l'adolescence, depuis la sensation de rejet, en passant par la naissance ambigüe du désir, jusqu'à la prise de conscience du monde adulte et de ses failles, de ses secrets. Ce livre regorge de réminiscences de notre propre adolescence, de nos propres pulsions qui ne cessaient, rappelons-nous, de menacer notre intégrité psychique et physique. Une épure réussie à l'image des plus belles épures des Éditions de Minuit !






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