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Critique de Biblioroz


Ce soir, Zakaria a l'estomac noué et pense à la maison, à l'autre bout de Beyrouth, dans laquelle sa mère travaillait et où il jouait, enfant, avec Idris, forgeant avec lui une amitié solide au fil des années. Mais avant de rentrer chez lui, dans ce camp pour Palestiniens, Zakaria a eu des mots avec son meilleur ami dont on ignore la teneur. Puis, c'est l'irruption d'hommes, une mauvaise action meurtrière commise trois années en arrière contre un maronite demande vengeance. La guerre civile du Liban déchaîne les haines entre les communautés qui l'habitent. Zakaria sera exécuté et percevra le cri de sa mère juste avant de sombrer. Il était jeune, amoureux de Mazna.

Après cet obscur prologue, Hala Alyan projette son lecteur dans des parties bien distinctes, ayant chacune leur propre époque. Ce roman détaille l'univers intime d'un couple, d'une fratrie, d'une famille qui s'est construite sur un socle fragilisé par une guerre civile déchirante, par une terrible erreur de jeunesse en temps de conflits intérieurs, par des exils, par des choix désirés ou subis, sur un amour unilatéral et des blessures enfouies non cicatrisées. Tous les personnages sont généreusement et parfaitement révélés, dans leurs caractères, leurs tourments, leurs désillusions mais aussi dans l'attachement qu'ils ont, au plus profond d'eux-mêmes, entre eux.

En 1965, à Damas, lors d'une représentation d'une pièce de Shakespeare, une voix intérieure criera à Mazna qu'elle veut être comédienne. de là, entreront en scène dans les années 70, ses amis libanais et l'exaltation mêlée à la peur de passer la frontière vers cette ville en proie à la guerre, Beyrouth. Jusqu'à l'été 1978, l'été de tous les possibles écrasés par le drame…

Mazna et Idris ont migré il y a bien des années en Californie. Idris est un chirurgien spécialisé dans les transplantations cardiaques, il parle aux coeurs et les écoute. L'un d'eux lui a murmuré qu'il devait vendre la maison de ses parents à Beyrouth puisque son père les a quittés depuis deux mois. Mais voilà que contre toute attente, Mazna qui a toujours dit détester cette ville du Liban, veut l'en dissuader et appelle ses enfants à se réunir dans cette maison menacée de vente.
Avant cette réunion familiale dans la villa plantée d'amandiers, les situations de chacun des enfants renvoient aux problèmes que peuvent rencontrer les couples, comme celui d'Ava, la fille aînée, mais aussi les désillusions d'un musicien qui n'a jamais réussi à percer, rongé par l'amertume, comme Marwan, le fils. L'une vit à New-York, l'autre à Austin. Quant à la benjamine, elle a choisi de faire sa vie à Beyrouth pour ne pas révéler à ses parents son homosexualité et attise la jalousie de son frère par la popularité de ses propres concerts.
Si leurs cheveux, leurs peaux, portent la teinte chaleureuse du Proche-Orient, les vies de la famille Nasr sont avant tout américaines. L'auteure en brosse un portrait contemporain qui pourrait être universel ; des hommes, des femmes, des enfants face aux difficultés de la vie, celles professionnelles, celles familiales et surtout celles affectives avec ses inimitiés, ses défaites, ses renoncements, ses mensonges et ses non-dits.

Se laissant entraîner par une plume sobre et captivante, n'omettant aucun trait de tout ce que peut revêtir la vie au quotidien, avec ses joies, ses partages, ses connivences, ses déceptions, ses amers regrets, ses rivalités, le lecteur navigue dans l'intimité de cette famille entre Beyrouth, Damas et les États-Unis. Sous-jacent, mais sans réellement occuper une place prépondérante dans ce roman, la situation évolutive du Liban arrive au lecteur, selon les années, par le biais d'informations en ce qui concerne les conflits mais aussi par l'état de Beyrouth au quotidien avec les ordures jonchant les rues, les coupures d'électricité et les incendies en guise de manifestations.
L'auteure nous fait saisir également le poids de la décision de partir, cet adieu à sa ville, Damas ou Beyrouth, une ville que l'on aime finalement au fond de soi-même, que l'on veut bien quitter mais dans l'optique d'y revenir un jour.
Les mots arabes glissés ça et là, principalement dans le registre culinaire, donnent une touche supplémentaire pour appréhender le côté oriental de ce roman qui se déguste tout doucement. L'histoire du couple formé par Mazna et Idris se forme progressivement, en piochant dans le passé, en suivant leur fille aînée qui tente de comprendre les intenses réactions de sa mère depuis leur arrivée au Liban. Les vérités sont là, cachées ou juste voilées. A-t-on besoin de les mettre en lumière et de crier qu'on les a découvertes ? Laissons-les à Beyrouth, pudiquement, tout à la fois dans les souvenirs et dans l'oubli.

Merci pour la proposition de cette Masse Critique et merci aux Éditions La Belle Étoile pour tous ces jours de lecture détaillant si profondément une belle chronique familiale.
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