Fernand Mourel a garé sa caisse dans une ruelle de Trifoux bourg. Il s'est mis sur son trente et un mais le cœur n'y est pas et il rase les murs, un pli soucieux barrant son front. Craignant il ne sait trop quoi, il a remonté frileusement le col de sa veste et jette des regards soupçonneux autour de lui. D'un geste brusque il pousse la porte du premier bar rencontré et s'accoude au comptoir. Certainement pour se donner un peu de courage, il commande un alcool fort qu'il avale d'un trait en tentant de maîtriser les tremblements de mains. Quand il atteint le perron de le gendarmerie le clocher
du village sonne trois coups.
De sa bouche à l'haleine avinée s'échappe un flot d'injures et de menaces à l'adresse des femmes, des jeunes, des gays, des arabes, des noirs, des jaunes, des intellos, des pauvres, des chômeurs et, d'une façon générale, de tous ceux qui ne pensent pas comme lui.
- Et comment va votre grand fils ?
- Ah celui-là a bien réussi. À la "falcuté" il a appris plein de langues et maintenant il est "troglodyte"
Tous sont de "bons français", sûrs de leur bon droit et qui votent pour le borgne lors des présidentielles.
Il leur tarde d'aller se poser au zinc en prenant des airs de conspirateurs, attendant les questions avec délectation, faisant traîner les réponses, s'amusant de l'impatience de l'auditoire.
Francine lève les yeux au ciel. Ah, elle en aura entendu des conneries dans sa vie et son mari n'est pas le dernier à se distinguer dans cette spécialité universelle.
- C'est Madame Lagrod, elle nous fait un malaise "vaginal".
- Un malaise vagal? n'exagérons rien. Tout au plus un gros coup de chaleur.
Les gens ne font plus la différence entre modérés et fanatiques et ils suffit de quelques illuminés pour jeter l'opprobre sur des millions d'innocents.
Y'a p'us d'jeunesse, se contente de bêtifier le Gus, n'étant que de passage, ne veut pas se mêler d'un différent qui pourrait lui faire rater une vente. Dans ces patelins où tout le monde est plus ou moins en famille avec tout le monde, prendre parti pour l'un ou pour l'autre pourrait nuire gravement à son commerce.