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Critique de domi_troizarsouilles


Un challenge saisonnier me demandait de lire un livre sorti l'année de mes 10 ans : mais quel défi ! (et quelle galère !) C'est que la production littéraire du début des années 1980, plus précisément 1982, n'était pas aussi prolixe qu'aujourd'hui. En conséquence, la probabilité de trouver un livre qui me plaise un tant soit peu, était vraiment réduite. Après trois soirées de recherches intensives (car j'ai aussi tenté de trouver une quelconque traduction, d'un polar américain par exemple, qui serait sortie en français cette année-là, mais en vain), j'ai fini par me limiter aux sorties francophones d'Europe, et mon choix final a hésité entre un Barjavel (que j'ai lu autrefois, mais oublié depuis lors), et celui-ci, qui a finalement remporté la palme car présenté comme un policier. À vrai dire, ça n'en est pas vraiment un, mais je ne sais pas trop comment on pourrait le catégoriser autrement.

C'est l'histoire de Michou, 8 ans et demi. Il vit dans un quartier simple du Paris de l'après première guerre mondiale. Son père a été fusillé en 1917, après avoir refusé de prendre part à une énième offensive à Perthes-lès-Hurlus, véritable boucherie, mais les patriotes de salon n'aiment pas entendre cela, et la vie de Michou et de sa mère est bien dure : on crache ou lance des légumes pourris sur le passage de l'épouse qui garde la tête haute, et on a rétrogradé l'enfant de deux niveaux à l'école, alors qu'il présente des facilités d'apprentissage évidentes ! Et puis vient l'incident de trop : la Maman (toujours présentée en ces termes et avec cette majuscule) en vient aux mains avec une voisine, qui la dénonce aux autorités pour trouble à l'ordre public. Tandis qu'on l'enferme en hôpital psychiatrique, Michou est confié à un orphelinat, où l'on apprend à chanter des cantiques plutôt que les mathématiques… Mais Michou est animé d'un désir de vengeance dont rien ne peut le détourner. Ainsi, en cette période où la grippe espagnole fait les ravages que l'on connaît, avec son « parrain » plus âgé et deux autres ados qui n'en peuvent plus de cette vie d'orphelins de guerre sans avenir, l'aventure (ou la vengeance ?) peut commencer.

Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre avec ce livre, c'est le résumé qui m'intéressait car il est vrai que le sort de ces enfants, victimes d'un patriotisme de pacotille, autant que leurs pères fusillés dans les conditions que l'on condamne désormais, c'est un sujet vraiment interpellant. Mais ici, il n'est pas traité avec la distance bienveillante et le souci d'un certain « politiquement correct » que l'on peut retrouver à notre époque, non ! C'est un véritable brûlot, profondément anticlérical et antimilitariste, les deux étant parfois (souvent) associés sous la plume de l'auteur, et aucune concession ne leur est jamais accordée. Cela peut se comprendre, quand on sait (on le lit partout dès lors qu'on lit la moindre critique sur ce livre) que ce roman atypique est en partie autobiographique ; en tout cas, Jean Amila a gardé une antipathie tenace (pour ne pas dire pire) envers les représentants du sabre et du goupillon, sans aucune exception, sans aucune chance de salut pour aucun d'entre eux.

Ce sentiment d'impossibilité de pardon, d'avoir entre les mains un livre polémique, est exacerbé par son écriture étonnante. Les tournures de phrases sont inhabituelles, et le vocabulaire est très argotique, mais ce n'est pas cet argot d'aujourd'hui qu'on trouve dans certaines chansons du rap par exemple ; c'est un argot, plus ancien, et en tout cas j'ai dû recourir au dictionnaire plus d'une fois pour comprendre de quoi on parlait, où c'est alors souvent signalé comme « vieilli » – même si, dans la majorité des cas, ça se comprenait grâce au contexte. On citera notamment : roumioner, pagnoter, moujingue, débagoulade, crônir, etc. Pour tout dire, je ne les ai pas tous trouvés ! mais quoi qu'il en soit, ça a attisé mon intérêt de pas-tout-à-fait linguiste ; quoi que l'on en pense, ça a une saveur toute particulière, rare et étonnante, que l'on déguste avec un étonnement ravi, même si on ne trouve pas ça tout à fait excellent.

Pour tout dire, je ne suis pas assez (pas du tout même) spécialiste de la littérature du XXe siècle pour savoir si cette façon d'écrire est délibérée pour mieux immerger le lecteur dans ce Paris de fin 1918-1919, ou si c'était courant dans les années 1980, mais en tout cas c'est profondément différent de ce que l'on connaît depuis la fin des années 1990. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'ai bien aimé ce style, mais en tout cas ça collait parfaitement à l'intrigue, à l'histoire de ces 4 enfants-ados que la vie n'a pas épargnés. Cependant, le recul que l'on a aujourd'hui sur ces événements, un peu plus de 100 ans après l'époque dans laquelle l'auteur a placé son histoire ; toutes ces cérémonies du souvenir, de la mémoire, du pardon parfois, que l'on a connues depuis lors ; tout cela jette comme un voile de relativité sur tout ce qui est raconté. La saveur est bien là, mais a son petit goût suranné qui ne touche plus tout à fait.
En revanche, c'est un autre aspect de ce livre qui résonne de façon particulière de nos jours : c'est ce rappel continu, comme en arrière-plan mais omniprésent, du contexte de la grippe espagnole ! En notre époque actuelle de covid, encore loin d'être fini, l'évocation de la vie quotidienne aux temps de la grippe espagnole semble tout à coup réaliste et comme revenue en avant-plan : ces regards échangés dans le métro, où on s'écarte de l'autre car on se demande s'il est contaminé… ça se vit aujourd'hui au jour le jour, quand je monte dans un tram ou un métro, et que mon coeur s'emballe à ne pas trop savoir si je dois maudire ou soutenir (mentalement) tous ces gens qui portent le masque - obligatoire dans les transports publics e Bruxelles - comme des clenches…

C'était donc une lecture touchante et intéressante, au goût suranné. L'anticléricalisme et l'antimilitarisme exacerbés sont les maitres-mots d'une histoire assez dure en réalité, qui est toutefois relativisée grâce au recul que l'on a aujourd'hui sur ces événements de plus d'un siècle. Il aura eu le mérite d'enrichir mon vocabulaire argotique vieilli, sur fond d'une grippe espagnole qui résonne tout particulièrement en notre époque de covid.
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