Encore une nuit, d’abord dans la ruine où ça sent la pisse, puis au centre, à La Ramée. Shit, Downers, alcool. J’essaie de ne pas penser à Jérémy et à ses mises en garde et me laisse bercer par les ondes de béatitude. Pourtant, ça ne suffit pas. En croisant mon visage déformé dans le miroir des toilettes, je me souviens de ce que je fuis et pèse le poids des erreurs que je suis en train de commettre… Mais je n’ai qu’une peur, me retrouver seule, face à mes démons. La vodka les assagit, les Downers les séquestrent jusqu’au petit matin.
Blasée, fatiguée, je m’étends sur le plastique chaud. Je tente de paraître blindée mais mon armure se fend de partout. « Guillaume le bulldozer », ses copains le surnommait comme ça depuis le jour où il avait foncé dans un tas de poubelles en scooter. Un putain de boulet de canon contre ma muraille.
Ne reste que la rage et la haine. Un état primitif. J’imagine le pauvre Guillaume chouiner dans les jupes de sa mère, celle qu’il a ruinée psychologiquement et financièrement et qui, pourtant, l’accueille chaleureusement. Son fils, son chouchou et moi crevant la gueule ouverte des années après. Guillaume fait belle figure en revenant du jour au lendemain fraîchement intégré avec son petit mariage et son petit boulot. Lui s’en sort, moi pas. Moi, je me noie dans un verre d’eau en fixant la nuque découverte de ma mère. Elle, qui ne mesure décidément pas l’ampleur qu’a eue ce braquage sur nos vies. Elle a pourtant été séparée de Bastien, a été obligée de quitter tout son confort, lynchée par sa propre famille. Elle aurait pu comprendre et répondre à ma souffrance. Au lieu de quoi, elle l’a ignorée.