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Critique de JulienDjeuks


Essai d'analyse de ce qu'est la modernité, les thèses de Günther Anders ont connu moins d'écho et de reconnaissance que celles de ses anciens camarades universitaires auprès de Heidegger, Hannah Arendt (La Condition de l'homme moderne, 58) et Hans Jonas (Le Principe de responsabilité, 79). On a surtout gardé de lui son engagement contre le nucléaire. Pourtant, en constatant la situation technologique du XXIe siècle, on peut remarquer qu'elles décrivent à merveille les nouvelles technologies que sont le numérique (le fantôme de la réalité mise à distance mais toujours plus présent, omniprésent grâce aux petits écrans des téléphones), la décrépitude des médias qui ne sont plus que des producteurs d'informations marchandes (dépendant des ressources publicitaires, contrôlés par des grands industriels), la philosophie transhumaniste (la modification de l'homme par lui-même pour s'adapter à la modernité : génétique, cybernétique…), la passivité et même le rejet par les masses des positions politiques qui pourraient les émanciper (volonté d'appartenir au monde de la consommation malgré l'évidence des maux écologiques)… L'Obsolescence de l'homme est d'une actualité encore plus criante et les thèses qui pouvaient être moquées et vues comme conservatrices – ce que Günther Anders avait pris soin d'annoncer – sont maintenant presque évidentes. L'homme moderne est détourné de la réalité proche par son téléphone portable connecté qui le relie de manière abstraite au lointain qu'il croit connaître et qui n'est qu'un faux construit. La langue, la musique et de manière générale toute l'industrie de la culture, l'art, semble essoufflée, lassante. le consommateur, accroc à une nouveauté calibrée dont il a l'habitude, devient indifférent ou réticent à toute vraie différence. La provocation se fait produit ordinaire quand les choses différentes sont juste inaudibles, invisibles ou irrecevables. La musique s'est déshumanisée, comme l'art conceptuel : on regarde la musique par des clips, sur des supports d'une qualité finalement inférieure, même les voix se font robotisées ; on privilégie la matière, le jeu des objets, le ready-made à la peinture…

C'est grâce à l'impasse écologique et énergétique que les thèses de Anders paraissent plus évidentes, son refus de cette modernité essoufflante, de cette humanité déviante, non plus comme un retour en arrière mais comme un engagement humaniste, anti-industriel. Il apparaît clair qu'il n'est pas vraiment question de refuser toute la technologie en bloc – donc de revenir en arrière – mais de dominer la technologie, la production industrielle effrénée, la surconsommation, afin de ne pas se laisser berner, entraîner malgré soi dans une fuite en avant insensée vers un mal-être permanent, une inadéquation constante avec un monde trouble, un monde qui se dirige vers sa propre désintégration… (On établira ici des liens étroits avec l'oeuvre de Ivan Illich et sa notion de seuils qui permettrait de préserver l'homme des débordements technologiques, industriels et institutionnels, cf. La Convivialité.)

En cela, l'analyse juste des effets pervers de la modernité est un compagnon nécessaire et préalable pour une réflexion écologique, pour une redéfinition de l'être humain, non plus basée sur le progrès technologique, mais bien sur le progrès humain. Ce pourrait être le progrès de réalisation de soi que décrivait Marx. L'homme doit viser à s'accomplir dans les actions qui rythment sa vie, et non pas à s'oublier, à agir d'une façon mécanisée. La machine est derrière nous, c'est une régression vers l'âge industriel. Les nouveaux progrès technologiques ne doivent pas aller vers une plus grande industrialisation, mais à une émancipation de cette vie industrielle. Les nouveaux outils permettent de s'affranchir de cette dépendance (au journal ayant un point de vue, à l'art ayant une académie) en donnant à l'homme des moyens de créer, construire, communiquer, sans avoir besoin d'énormes machines pour lesquelles on doit regrouper la production.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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