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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Rage (épisodes 1 à 6) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2015, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par Kaare Kyle Andrews (il n'y a que le lettrage qu'il n'a pas fait, réalisé par Joe Caramagna). Ces 2 tomes forment une histoire complète qui nécessite d'être familier du personnage pour en saisir toutes les implications.

Le building de l'entreprise Rand est maintenant occupé par une bande de gugusses pas commodes, sous les ordres du Yu-Ti de la nouvelle K'un Lun, assisté par Davos (Steel Serpent). L'inspecteur de l'habitat Darius Scott Pilling réussit à pénétrer dans le building pour vérifier sa conformité aux normes. Il est observé de l'extérieur par Brenda Swanson et Li.

Quelques part en Himalaya, Danny Rand (ayant perdu son poing de fer) se rétablit lentement, et reprend l'entraînement sous la tutelle de Sparrow, en la présence de Fooh, un nain à l'apparence et au comportement très étranges. En particulier ce dernier lui fait observer avec insistance qu'il avait été dépositaire du poing de fer juste du fait de sa généalogie, sans vraiment l'avoir mérité.

De prime abord, l'auteur semble avoir appliqué un traitement à la Frank Miller à Iron Fist : des dessins plus noirs parfois dessinés à gros traits, une perte de toutes ses capacités, et de sa fortune, une sorte de version extrême (comme il l'avait déjà fait pour Spider-Man dans Reign). Mais contrairement à Reign, il ne s'agit pas là d'un Iron Fist vieillissant et sur le retour, désabusé ou cynique. Pour la présente histoire, il a construit une intrigue puisant sa source dans les origines du personnage. Il n'a pas souhaité étendre la version d'Ed Brubaker et Matt Fraction.

Dans la postface, Kaare Kyle Andrews confirme qu'il a conçu cette histoire comme un tout. Effectivement les rappels effectués dans la première partie sont nécessaires pour comprendre cette deuxième moitié. le scénariste écrit une histoire spécifique à Daniel Rand, utilisant son histoire personnelle, à commencer par ce voyage en Himalaya voulu par son père jusqu'à l'obsession. Il met en avant K'un Lun en prenant soin de gérer la question de l'accès à cette cité, sa réapparition sur Terre à plusieurs années d'intervalle. En tant qu'auteur, l'intention d'Andrews est de creuser les motivations et la psychologie de son personnage, ce qui explique qu'il laisse de côté la dimension dynastique des Iron Fist. Cet aspect du superhéros établi par Ed Burbaker et Matt Fraction en 2007 est bien intégré dans l'intrigue et joue un rôle déterminant quant à la crise que traverse le personnage.

Sur la base d'un principe très classique, Kaare Kyle Andrews commence par mettre son héros plus bas que terre, avant qu'il ne se relève pour affronter ses ennemis. Il part donc des faits établis sur l'histoire personnelle de Daniel Rand, depuis sa création en 1974 par Roy Thomas & Gil Kane, à la fois pour la Cité himalayenne, et pour le sort de ses parents. Par le biais de 2 personnages (Sparrow et Fooh) et de pensées intérieures utilisées avec modération, les convictions de Daniel Rand sont soumises à une remise en question qui accompagne la chute du héros et son changement de paradigme. le scénariste effectue sa déconstruction sur plusieurs fronts. Il s'amuse à plusieurs reprises à confronter son personnage au fait qu'il est un homme blanc et riche, et qu'il n'y a pas de raison que tous les superhéros soient issus de cette catégorie sociale (ça marche bien pour Bruce Wayne et Tony Stark, c'est un peu plus douteux pour Peter Parker et Barbara Gordon). Il insiste aussi sur le fait que Daniel Rand a reçu le poing de fer du fait de sa parenté, plus que fait de son mérite.

La déconstruction s'effectue également d'un point de vue plus psychologique, quant à sa relation avec son père et avec sa mère, et même sur les motivations qui le poussent à endosser le costume d'Iron Fist. On est donc loin d'un récit d'action décérébré, et plus proche de la littérature. Ce qui est appréciable, c'est que l'auteur ne se vautre pas dans une narration dépressive, mais qu'il intègre des moments humoristiques, qu'il s'agisse de la manière dont Daniel Rand se fait rabrouer par Brenda Swanson, ou par la présence de Fooh, un petit gnome à l'apparence étrange.

Ce personnage Fooh est d'ailleurs bien curieux sur le plan visuel. Il sautille partout, il change régulièrement de tenue vestimentaire souvent assez décalée, il apparaît dans des endroits inattendus. Dans un premier temps le lecteur le voit comme un ressort comique, puis comme un personnage omniscient bien pratique pour le scénariste qui doit caser des informations, puis comme une aberration. Il faut faire confiance à l'auteur, car le comportement de Fooh a une explication cohérente avec le reste du récit. Son apparence visuelle est dont réfléchie, comme tout le reste de la partie graphique.

Dans une interview, Kaare Kyle Andrews faisait observer qu'il doit être un des rares créateurs, si ce n'est le seul, ayant cumulé autant de postes sur la production d'une histoire en 12 épisodes. Effectivement, le lecteur ressent au fur et à mesure des pages, cette cohérence narrative totale, entre récit et aspect graphique. Il retrouve des dispositifs déjà vus dans la première partie, comme le vieillissement artificiel des pages lors des scènes du passé. À l'infographie, l'artiste jaunit le papier et y ajoute des traces de copeaux de bois comme s'il s'agissait d'un vieux comics. Il y a ajoute également des traces de pliures fictives, comme si ces pages avaient été récupérées dans une pile de planches mal conservées, sans respect pour leur valeur.

Chaque séquence bénéficie donc d'un découpage conceptuel spécifique, se traduisant par des pages pouvant comporter une dizaines de cases, aussi bien qu'une unique case s'étalant sur 4 pages (réassemblées en 1 seul dessin dans les pages bonus). Toujours lors des scènes du passé revenant sur l'enfance de Daniel Rand, Andrews n'hésite pas à le représenter comme s'il s'agissait d'une BD pour enfant, légèrement déformé, afin d'accentuer le caractère enfantin, transcrivant ainsi l'âge du personnage.

Un peu plus tard, Iron Fist est de retour pour affronter des démons dans un enfer, une scène où le lecteur doit déterminer si elle doit être prise littéralement ou métaphoriquement. Andrews passe en mode Frank Miller, avec gros aplats de noir, et contraste maximal limitant sa palette de couleurs pour s'approcher du noir & blanc (avec une couleur supplémentaire pour rehausser quelques éléments). le lecteur discerne l'hommage à Miller, sans que cela ne soit du plagiat, car la narration d'Andrews reste personnelle, tant pour l'intrigue que pour la mise en page.

Pour le grand combat final, Kaare Kyle Andrews s'en donne à coeur joie avec des combattants d'une stature défiant l'entendement, taxant encore plus fortement la suspension consentie d'incrédulité du lecteur. Ce qui sauve cette séquence de l'idiotie totale, ce sont à nouveau les dessins, conçus spécifiquement pour cette partie, devenant plus expressionnistes que figuratifs.

Le dernier épisode constitue un épilogue après le dernier combat, permettant de faire le point sur la situation des personnages, sur les changements survenus, et sur la suite qui s'ouvre au personnage. Dans une interview, Kaare Kyle Andrews répond qu'il sait bien qu'il appartient à ses successeurs (et aussi aux responsables éditoriaux) de choisir s'ils retiendront ces changements, ou s'ils feront comme s'ils n'ont jamais existé. Pour le lecteur, cette question n'offre pas grand intérêt, car c'est le lot de tous les personnages récurrents de fiction bringuebalés d'équipe créative, en équipe créative. Par contre, il éprouve la satisfaction d'avoir lu un récit qui respecte et utilise la mythologie du personnage, qui constitue une histoire complète et qui introduit une évolution organique générée par l'intrigue et par la progression de la personnalité du protagoniste.

Kaare Kyle Andrews ne s'est pas contenté d'écrire une aventure d'Iron Fist, avec une intrigue bien troussée. Dans le cadre très contraint de la mise en scène d'un personnage propriété d'une entreprise de divertissement, il a réalisé une histoire personnelle qu'il a maîtrisée de bout en bout, s'éloignant ainsi du processus industriel de fabrication à la chaîne des comics. Il a bâti son histoire en développant la psychologie du personnage, sur la base de son histoire personnel et de son rôle de superhéros, sans creuser le sillon habituel de la noirceur, ou celui de la soif de pouvoir.
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