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Critique de Fabinou7


« Vous connaissez cette atmosphère. Un couloir de wagon couchette sur la ligne Zagreb-Belgrade. L'heure : environ sept heures du matin. le lieu: Stara Pazova. »

Ivo Andrić naquit en Bosnie en 1892. Au décès du diplomate et Prix Nobel de Littérature, en 1975, la Yougoslavie existe encore. Il en est d'ailleurs un exemple typique, après sa naissance à Travnik en Bosnie (dont il fait le lieu de plusieurs contes) il fait ses études à Sarajevo ; issu d'une famille croate, il prendra la nationalité serbe et mourra à Belgrade, vous me suivez toujours ?

“Il est devenu socialiste ! So-ci-a-li-ste ! Comme si ce n'était pas suffisant d'être juif ! » le titre peut paraitre trompeur. En effet, le rapport à la communauté juive de Bosnie n'est pas nécessairement l'objet central des contes, mais plutôt un lien de rattachement plus ou moins diffus selon les histoires.

Cette méprise tient au fait que le livre n'a pas été conçu par Andric. Il s'agit d'un corpus assemblé de façon posthume de divers contes et passages de romans de l'auteur balkanique ayant un lien avec des personnages juifs.

« le fossé qui sépare les diverses religions est si profond que seule la haine parvient à le franchir. » Cela étant dit, certaines histoires touchent la communauté juive directement, notamment l'histoire de l'émigration forcée d'Espagne, les persécutions Ottomanes puis Autrichiennes, la Bosnie ayant connue différentes dominations (sultane, impériale) au cours de son Histoire et, fatalement la collaboration fasciste des années quarante suivant la prise de pouvoir des Oustachis croates en Bosnie.

« C'était une de ces personnes dont la beauté suscite chez les plus effrontés et les plus rustres un respect et des égards qui leur font ordinairement défaut. » Je ne savais pas trop à quoi m'attendre vis-à-vis du livre, le titre laissait espérer des contes traditionnels, sur le folklore, les coutumes. Rien à voir. Enfin, c'est bien plus vaste que cela, ces courtes histoires sont d'une densité, d'une intensité rare. Il y a un talent redoutable du format court, de la chronique chez Ivo Andrić, cela me fait un peu penser à Tchekhov dans la maitrise, l'exactitude avec laquelle l'auteur délivre ses nouvelles si bien que "l'on aurait tant voulu que le livre continuât" comme l'écrivit Proust.

« Qui d'ailleurs parvient jamais à exprimer ses meilleurs sentiments et ses plus beaux souhaits ? Personne, ou presque. » le style et la langue sont époustouflants et mettent en valeur la narration, on a du mal à délier les deux tant ils sont imbriqués, on se laisse emporter par le courant d'une Miljacka littéraire aussi profonde que fascinante.

“On plaisante beaucoup plus en Bosnie que ne pourrait le croire l'étranger qui regarde le pays par les fenêtres d'un train. Mais la plaisanterie est pesante et rude, sans joie si l'on peut dire; accablante pour qui en fait les frais, elle montre que son auteur n'a pas lui non plus la vie facile.”

« Qui sait ? Fis-je, poussé par cette sorte de vanité qui porte les jeunes gens à voir leur destin dans des pays lointains et sur des chemins insolites. » le mal-être et la fuite, la « haine » qu'on peut ressentir pour son pays, l'incommunicabilité de ces êtres complexes et taiseux tels des « pelotes de silence » qui font parfois de leur mieux tout en ayant le sentiment d'être « une charge pour eux même autant qu'inutiles à leur entourage », l'impossibilité sociale de l'amour interconfessionnel, sont autant de thèmes à partir desquels explose le talent littéraire de l'écrivain yougoslave.

Il ne tient désormais qu'à vous de monter dans un train, de regarder « le fleuve rapide, brun-vert, du paysage » par la vitre du compartiment et d'aller à la rencontre de ces juifs séfarades et de ces bosniaques, de leurs grandeurs et misères. Tenez, commencez par visiter les tombes du cimetière Juif de Sarajevo, et au détour des muettes allées, à partir des patronymes gravés dans la pierre, imaginez leurs vies…

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