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Critique de Patsales


Comment suis-je tombée sur ce texte? Impossible de m'en souvenir, même si, étonnamment, ce n'est pas par Babelio. Je joins toutefois ma voix à tous ceux qui l'ont découvert avant moi: lisez-le!
Témoignage écrit peu de temps après l'expérience qu'il décrit, renié par son auteur, ce texte a l'incontestable mérite de nous faire comprendre ce qu'est la littérature.
Si la lutte de Moby Dick et du capitaine Achab vous terrorise par sa longueur, lisez « La Scierie », c'est plus court mais aussi cruel et métaphysique. La lame vous arrache l'ongle, le doigt ou même la gueule et le gros dur devient ouvrage pour dame qu'il faut coudre point par point avant de le renvoyer devant la faucheuse, dont le rythme implacable sert de fléau: d'un côté les durs, les hommes, les vrais, de l'autre les lopettes qui méritent bien leur sort quand l'accident les rattrape.
Si Julien Sorel vous fatigue par ses atermoiements entre romantisme échevelé et haine recuite du prolo bien décidé à se faire une place au soleil, lisez « La Scierie », la rage est la même. Si Julien se fait surprendre par son père qui le voit lire au lieu de surveiller le mécanisme de la scie, le narrateur choisit le travail manuel faute d'avoir eu son bac. L'un et l'autre jouent des coudes pour appartenir à l'aristocratie locale: celle du pouvoir ou celle des bûcherons, mais être en haut de la chaîne alimentaire.
Si Proust vous fatigue par la préciosité de ses longues phrases, lisez « La Scierie ». Ici, le style est âpre et sans fioriture, mais finalement c'est la même chose. Si Marcel traduit sa suffocation dans la cadence de ses phrases, l'auteur anonyme a des phrases aussi sèches que son corps amaigri et musclé par deux ans d'un travail forcené.
Et si Camus vous tente, mais que, non, franchement, imaginer Sisyphe heureux, vous ne pouvez vraiment pas, alors lisez « La Scierie ».
« […] je vis Garnier tituber sous au moins cent kilos de sapin, et j'ai juré tout bas, presque les larmes aux yeux:
- C'est fini. Jamais, jamais, jamais je ne recommencerai. »
Mais moi je vais recommencer ce livre.
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