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Critique de Nastasia-B


Intéressante, dérangeante et très pertinente cette réécriture de Sophocle avec l'éclairage de cette autre tragédie qu'est la période de guerre et les compromissions qui la gangrènent.
Évidemment, poser Antigone en allégorie de la Résistance et Créon en allégorie du pouvoir veule et asservi de Vichy est tentant pour l'auteur, ou nous autres lecteurs.
Mais si l'on extirpe l'oeuvre de sa gangue historique, si on la lit pour ce qu'elle est aujourd'hui, j'entends par là, si on la lit dans sa lettre et hors de tout contexte, le personnage le plus intéressant et qui nous donne le plus à réfléchir sur nous-même et sur la vie est bien celui du vieux roi Créon.
En effet, lui, sorti des espérances fleuries avec les boutons d'acné, sait qu'une vie d'homme est faite de compromissions et de sacrifices, faite d'apparences et de sauvetage d'apparences.
Antigone apparaît magistralement inadaptée à l'existence, une sorte de caricature, une manière d'enfant gâtée, qui ne sait malheureusement pas bien ce que c'est que la vie, que les choses ne sont jamais simples ni monolithiques.
Pour Antigone, il n'existe que deux engeances, le blanc brillant et le noir opaque. Créon essaye de lui faire sentir, qu'il peut exister des nuances et qu'il nous est toujours difficile de les nommer "gris" et que, dans la sagesse de l'âge nous devrions plutôt les évoquer comme étant " apparemment gris ".
Selon lui, il n'existe pas de différence fondamentale entre le traitre et le héros, si ce n'est l'utilisation politique et réfléchie qu'on peut faire de la mort de tel ou tel. La vérité est enfouie très, très en-dessous des apparences et des discours politiques et bien peu peuvent espérer gratter suffisamment profond pour la découvrir pleinement un jour.
En ce sens, je trouve que si l'auteur veut faire l'apologie de la résistance, en tant qu'idéal auquel chacun devrait avoir envie de se raccrocher, il rate un peu sa cible et fait d'Antigone une caricature, un véhicule kamikaze et non un symbole de la vraie force et de la vraie résistance telle qu'a pu l'incarner le Mahatma Gandhi, par exemple. (Et bien d'autres authentiques résistants qui ne se sont jamais pliés et qui n'ont pas choisi l'expédient facile de la mort pour autant. Dans le domaine littéraire, on pourrait citer, entre autres, le courageux et intrépide Dashiell Hammett, poursuivi lors de la Chasse aux Sorcières, Mikhaïl Boulgakov sous Staline, etc., etc.)
J'ajoute que le tour, parfois légèrement burlesque, qu'imprime Jean Anouilh à sa pièce, peuvent parfois nous évoquer qu'il a écrit plus une parodie de la tragédie de Sophocle qu'une mouture moderne.
Décidément, rien n'est simple, et je suis bien en peine de dire si cette pièce est un chef-d'oeuvre, un habile tour de passe-passe ou un pâle reflet du joyau rutilant dont elle est issue.
La question posée reste la même que chez Sophocle, à savoir celle de l'obéissance aveugle à l'ordre émanant d'une hiérarchie, même si cet ordre va à l'encontre de nos propres convictions. Dit autrement, doit-on exécuter un ordre s'il nous apparaît immoral ?
Chez Sophocle, il y avait une dimension tragique qui remuait les tripes, ici, mes émotions ondulent mollement, comme sous l'action d'une brise légère, alors qu'elles avaient été secouées comme un jour de bourrasque par le vieil antique.
C'est une pièce intelligente, qui nous pousse à réfléchir et à nous positionner, mais scéniquement parlant, mais émotionnellement parlant, ce n'est pas du très grand théâtre à mon goût, d'où mes 4 étoiles et non 5 comme la richesse du propos pourrait m'y inciter.
Cependant, n'oubliez jamais que ce que j'exprime là n'est que mon avis, c'est-à-dire, une once de ressenti brut, autant dire, pas grand-chose.
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