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Critique de sylviedoc


l'incipit donne le ton, jugez plutôt : "Une fille, c'est comme une carafe : qui la casse la ramasse, dit toujours ma mère.
Moi, j'aurais été plus heureuse si j'étais née garçon, comme Cosimino, mais quand on m'a faite, personne ne m'a demandé mon avis. Quand nous étions tous les deux dans le ventre de maman, nous étions pareils, mais nous sommes sortis différents : moi avec une brassière rose et lui bleue, moi avec une poupée en chiffon, lui avec une épée en bois...". Nous sommes en Sicile, début des années 60, juste avant ma naissance. Cosimino et Oliva sont jumeaux, ils ont une quinzaine d'années. La plus grande crainte d'Oliva est de voir arriver le cardinal, comprenez ses règles. Parce que de ce jour, c'en est fini de courir à coupe-souffle, de faire naître des créatures fantastiques en regardant les nuages auprès de son ami d'enfance Saro, de travailler au jardin et de rentrer genoux boueux, bref, le cardinal signifie "marche en regardant tes pieds, file droit et reste à la maison".

Jusqu'ici, Oliva était une fille heureuse, bonne élève (d'ailleurs elle a commencé l'Ecole Normale pour devenir institutrice ), avec des plaisirs simples comme accompagner son père aux aurores pour attraper les escargots que celui-ci vend au marché. Ils sont très complices, père et fille, au grand dam de la mère qui souhaite éduquer Oliva en vertu des grands principes en vigueur dans le coin, c'est-à-dire en gros sois une fille obéissante, pas trop instruite et épouse l'homme qu'on aura choisi pour toi. Et pourtant, Amalia elle-même a fui sa Calabre natale parce qu'elle était tombée amoureuse de Salvo... vous connaissez l'adage : fais ce que je te dis, pas ce que j'ai fait !

Mais un beau jour, Oliva va être confrontée à un choix douloureux : épouser le Don Juan du coin, Pino Paterno, qui a jeté son dévolu sur elle et va recourir au pire des stratagèmes pour se l'approprier, ou refuser, quitte à y perdre réputation et peut-être avenir. Elle va trouver des alliés prêts à la soutenir dans sa famille et son entourage, mais aussi se heurter aux "langues-coupantes", ces femmes qui, au lieu de prendre la défense d'une des leurs, préfèrent rester confortablement du côté des traditions machistes et parfois ignobles dont elles-mêmes ont souvent été victimes.

On a tendance à trouver ce genre d'attitude inexplicable, ou à penser qu'il s'agit là d'une époque révolue : les femmes n'avaient pas leur mot à dire, mais maintenant ce n'est plus comme ça ! Et pourtant...ce qui est dénoncé par Viola Ardone n'a pris fin que dans les années 80 en Italie, et perdure encore dans bien des pays. Et bien des mères condamnent encore leurs filles à la même vie de soumission qu'elles ont elles-mêmes connue. Faut-il leur jeter la pierre ou essayer de comprendre leur peur de se rebeller contre un système qui ne leur laisse aucune chance de s'en sortir sans dommage...
Personnellement je m'abstiendrai d'en juger, ayant eu la chance de pouvoir exprimer mes propres choix personnels et professionnels sans entraves (mais pas toujours sans dégâts collatéraux !).

J'ai profondément apprécié ce second roman de Viola Ardone, traduit récemment en français, tout comme "Le train des enfants" qui m'avait fait découvrir un pan méconnu de l'histoire italienne d'après-guerre. Il est comme ce dernier narré par un enfant, ici la jeune Oliva, avec ses jolies expressions tirées du langage local, et ses jugements souvent péremptoires ("le communisme, je suis pour...le démon, je suis contre", elle m'a souvent fait sourire, du moins au début de son histoire. La dernière partie, qui se passe en 1981, est racontée à tour de rôle par Oliva et par son père. Ce dernier m'a été dès le début très sympathique, à sa manière taiseuse il manifeste son amour à sa fille et respecte ses choix. Quant à Amalia, j'ai fini par mieux la comprendre, mais j'avoue que ma première impression ne lui était guère favorable ! On rencontre de nombreux personnages plus ou moins importants dans ce petit village sicilien, mais chacun apporte une facette intéressante dans l'histoire, que ce soit l'institutrice célibataire, mal vue des anciens, ou Liliana, l'amie d'Oliva et fille de Calo le communiste qui essayent de faire bouger les mentalités. le pire et le meilleur se côtoient, ce qui rend l'histoire vivante et crédible.

Je vous engage vivement à découvrir cette auteure qui m'a enchantée avec les deux romans que j'ai lus récemment, j'espère en découvrir d'autres par la suite.
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