Comment une fille aussi intelligente peut-elle sortir autant de conneries à la minute ? Je la voudrais muette. J'aurais dû prendre une muette. Ca aurait réglé certains problèmes. Je me concentre sur une idée tordue pour transformer ses cordes vocales en cordes de violon ou les fondre... les faire fondre, c'est une idée intéressante. Avec de l'acide peut-être ?
Et sous les crocs du loup, le petit chaperon rouge succomba
« Manipulateur. »
Je croise son regard et elle sourit.
Je fredonne, mon rictus plaqué sur mon visage :
« Et sous les crocs du loup, le petit chaperon rouge succomba. »
« — Soit ! L’amour… »
Il prend le temps de réfléchir, puis lance avec un profond sérieux :
« … c’est renoncer à une part de soi.
— Laquelle ?
— Une forme de liberté.
— Pourquoi y renoncer ?
— Parce que, à partir du moment où tu aimes quelqu’un, tu ne t’appartiens plus tout à fait. Tu t’inquiètes pour la personne que tu aimes. Tu crains de la perdre. Tu désires la voir chaque minute, lui faire plaisir, apercevoir son sourire, ses yeux qui brillent. Tu souhaites t’inscrire dans chacun des pans de sa vie tout en préservant ce qui la définit et qui te rend amoureux d’elle. Tu ressens… un besoin permanent. C’est à la fois dévorant, passionnant et salvateur. Mais ça peut être destructeur aussi lorsqu’une fausse note se glisse dans la définition. »
Je ne t'aime pas. Je ne t'aimerai jamais. Pourtant mon obsession de toi est aussi épaisse et puissante que ton amour pour moi. C'est la seule chose que je suis capable de t'offrir.
Les membres de ma famille sont des morceaux de verre : certains sont tranchants et acérés, et d’autres sont seulement brisés.
Inutile de me le rappeler. Il n’a qu’à cesser de jouer les coqs s’il ne veut pas finir dans un four, c’est tout.
« Petit chaperon rouge qui court tout droit dans la gueule du loup… »
Elle me décoche une petite tape sur le torse en gloussant, se hisse sur la pointe des pieds et dépose un baiser sur mes lèvres qui m’arrache un grognement.
« Méfie-toi, il y a toujours un chasseur qui pourrait me retrouver. »
Je la suis des yeux tandis qu’elle s’éloigne vers la porte d’entrée. Une pensée meurtrière traverse mon lobe frontal à la vitesse d’un missile.
Elle se retourne, la main sur la poignée, et m’affiche un large sourire, très fière d’elle. Je l’observe et je songe que, en effet, elle n’est plus la gamine naïve et nunuche que j’ai ramassée à Frémont. Prisonnière d’une chrysalide que j’aurais arrachée, Abigael s’est libérée, mais j’ignore encore ce que j’ai libéré. »
« — Peut-être pas comme il le faudrait. Accorde-moi cette faveur, Ciaràn, le moment venu. Tu ne perds pas le contrôle, puisque tu me l’autorises.
— Tu joues sur les mots.
— Tu aimes jouer sur les mots. Tu les manipules aussi bien que les gens. »
J’acquiesce pour sa formulation et la véracité de son propos. Je pousse un soupir en lorgnant en direction des fenêtres et de la ville qui vit par-delà.
« Je t’accorde cette faveur, n’en abuse pas. »
« Declan a essayé de nous séparer », je précise, poursuivant mon lent travail de sape.
L’intéressé m’examine.
« C’était en effet ce qui aurait pu arriver de mieux à Abigael, souligne-t-il à son tour, alimentant mon ignominieux désir de voir exploser leur amitié.
— Merci, mais je préfère prendre mes décisions toute seule dans certains domaines. En l’occurrence, mon amour pour toi n’est pas discutable et mon amitié avec ton frère non plus. »
Je prends le coup sans ciller, mais mes poings sont fermés sous la table. Je lui lance un regard assassin.
« Pas la peine de me fixer comme ça, argue-t-elle en tendant un doigt impérieux dans ma direction. De toute façon, tu veux déjà m’éviscérer ou exécuter je ne sais quelle idée tordue. »