Requiem
Pars, puisque tu le veux. Pars, et laisse le deuil
Avec ton souvenir dans la maison muette ;
Pars vite et sans adieux et sans tourner la tête,
Des pleurs pourraient ternir l'éclat pur de ton œil.
Marche au but qu'ont marqué ta folie et l'orgueil.
Que rien ne te fléchisse et que rien ne t'arrête ;
La porte est grande ouverte et la voiture prête,
Je veux t'accompagner tranquille jusqu'au seuil.
Un autre irait, pareil au pauvre qu'on repousse,
Triste et suivant de loin la trace de tes pas ;
Tu me verras plus fier... Surtout n'espère pas !
Que jamais contre toi mon regret se courrouce :
Car seule aux jours amers ta lèvre me fut douce
Et je n'ai su trouver l'oubli qu'entre tes bras.
Briséis. (extrait)
I
Quoi ! vraiment, je l'ai déchirée
Cette tunique, dont les plis
Semblaient s'arrondir assouplis
Sur l'épaule de Cythérée !
Là-bas, dans le vent familier
Un fragment arraché s'envole...
Hélas ! et je n'ai qu'une obole
Dedans ma bourse d'écolier !
Chanson romantique
Quatre seigneurs brodés chantaient dans la nuit noire :
"Puisque nous sommes à boire
Sur la cime dans grands monts,
Vidons un verre en mémoire
Des belles que nous aimons."
Le premier d'une voix magnifique et profonde :
Je le dirai par le monde
Au son du fifre et du cor,
Celle que j'adore est bonde,
Blonde comme un écu d'or."
Le second, capitaine aimable et sans fortune :
"Celle que j'adore est brune :
La belle dont je suis fier,
Est pâle comme la lune
Qui se mire dans la mer."
Le troisième, dans sa moustache qu'il retrousse :
"La blonde, est ma foi, trop douce :
La brune est rude parfois.
Celle que j'adore est rousse,
Comme la mousse des bois."
Et le dernier, très jeune, avec une voix pure :
"La mienne, par aventure
Ayant prononcé des vœux,
Je n'ai pu voir sous la bure
La couleur de ses cheveux."