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Critique de Eskilf


Comme le fil d'une pensée qui lie, relie, délie, dévie, jaillit, foisonne, accélère et ralentit, en suspens puis repartie de plus belle. Plongés au coeur d'une pensée qui se déroule presque comme si on la vivait de l'intérieur, on n'en comprend pas tout, on ne peut pas tout saisir. : c'est le principe même d'une véritable subjectivité. Il faudrait relire et être très pointilleux pour tout entendre et comprendre dans sa résonance avec ce qui précède et ce qui suit.

Juliette Arnaud nous ouvre les portes d'une sensibilité proprement singulière et qui s'affirme dans ses paradoxes. Pas de bienséance de rigueur. Il s'agit bien davantage d'être fidèle à ce qui anime son être intérieur.

Elle écrit sans filtre, parfois abrupte, sans prévenir, elle tord la forme du roman et la plie à la forme de sa pensée : entre parenthèses multipliées et références musicales continuelles, elle s'affranchit de nombre de contraintes de l'écrit et de son support silencieux de prime abord. La poésie n'est pas silencieuse me direz-vous. Oui, mais elle chante la mélodie du langage. Ici, la musique est partout, et l'on doit ouvrir ses oreilles en même temps que ses yeux et son esprit lecteur qui n'a généralement pas nécessité d'oreille, ni absolue ni autre. Ici, l'ouïe est convoquée en permanence et l'exercice est ardu, mais les chansons font aussi cette histoire. Pas seulement les mots. Une forme d'intertextualité, pas inédite, mais rarement aussi présente.

En parlant des mots, tous ont leur place dans Comment t'écrire adieu, du plus soutenu au plus familier voire grossier. La vraie vie intérieure ne fait pas le tri entre toutes ces facettes de nous qui s'entremêlent et peut gueuler férocement que « la mémoire est une salope. » (p.135). En écrivant, nous clivons d'habitude bien gentiment les bons et les mauvais mots, par souci de cohérence et par souci du lecteur.

La narratrice n'a absolument pas l'intention de prendre soin du lecteur. Elle est exigeante. Si vous attendez que l'on vous berce, n'ouvrez pas même la première page. Vous aurez de toute façon d'emblée le mal de mer. Juju est complice et intime avec sa langue et ses mots, tout l'éventail qui s'offre à elle. Elle s'arme de cette langue sans concessions et imprévisible pour, si ce n'est malmener, du moins provoquer et narguer le lecteur qui s'approche.

Elle est drôle, elle qui est « devenue adulte. Mais pas de [s]on plein gré [...] » (p.72), elle force au lâcher prise sur sa propre pensée, force à la suivre dans les méandres de la sienne. Et l'on doit vraiment accepter de s'y enfoncer comme dans une forêt touffue pour lire ce roman.

Juju tourne l'humain en dérision, exprime avec humour et pudeur une épreuve de vie incontestablement douloureuse. L'humain est un animal parmi d'autres et la narratrice ne se prive pas d'user de comparaisons animales burlesques. de la mise en scène oui. de la théâtralité bien sûr. Mais jamais sans un deuxième degré qui remet les choses en perspective. Et puis, l'honnêteté est là et nous accroche. Des remarques sur de tous petits riens de tous les jours mais qui parlent, car ils sont au fond de notre tête sans sortir de notre bouche. Politesse. Peur du ridicule surtout. Mais le ridicule ne tue pas. Et l'honnêteté est bien plus puissante que lui.
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