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Critique de Yassleo


Qui se souvient de Jack Johnson, premier Noir champion du monde de boxe des poids lourds de 1908 à 1915, soit bieeeen avant que Mohamed Ali ou Mike Tyson n'aient poussé leur premier cri? Pas grand monde j'imagine, à moins d'être féru de boxe ou d'être moins bête que moi, fait hautement répandu ceci dit. Toujours est-il que ce grand nom de la boxe et parangon de lutte anti-raciale m'était un illustre inconnu. Mais ça c'était avant Un trou dans le ciel.

Philippe Aronson nous livre le récit de la trépidante vie de ce champion hors-normes. Impulsif, provocateur, accro a la marijuana, débauché sexuel dégainant le phacochère à la première phéromone féminine qui traîne, Jack Johnson est aussi un beau bébé de 90 kilos de muscle pour 1,87m. Donc pas le genre de gars avec qui on se fâche. Et pourtant... Gros hic : il naît noir en 1878 dans une Amérique aussi blanche qu'un cul de colombe et à l'esprit aussi ouvert qu'une Christine Boutin (ou l'inverse, ça marche aussi). Des ennemis y'en aura un paquet du coup. Mais Johnson se vengera et luttera, à sa manière, contre cette injustice. Pas en mode gentillet, patient et pacifique à la Luther King, genre I have a dream et je te prêche la bonne parole. Non. Lui a embrassé le gant de boxe pas la Bible. Johnson c'est un dur de dur. Grandir au son des "sale Nègre" ça vous forge un homme. Et son modèle est plutôt Edmond Dantès, enfin son double, Monte-Cristo. Pas si con le sale Nègre.

Situé en 1946, le dernier jour de sa vie, le récit est construit comme un combat de boxe : 106 micro-chapitres ultra courts et rapides, tels des rounds qui s'enchaînent jusqu'au K.O. final. Sorte de confession ou de mémoires que laisserait Johnson avant de trouer le ciel et de s'envoler.

On remonte le temps, des combats de rue de son enfance aux titres mondiaux. Jeffries, Burns, Sullivan, les plus grands ont longtemps refusé le combat contre lui. Motif : la boxe c'est pour les Blancs pas les sous-humains. Ça c'est de l'argument. Jack London himself ne lui donne aucune chance contre Jeffries qu'il battra pourtant haut la main : "Jeffries gagnera sûrement car l'homme blanc a trente siècles de traditions derrière lui, tous les efforts suprêmes, les inventions et les conquêtes, et, qu'il le sache ou pas, Bunker Hill et les Thermopyles et Hastings et Azincourt". Ah ouais quand même.

Mais la rage au ventre, le poing ferme, l'oeil belliqueux, Dumas dans la poche et coke dans le nez, jamais Johnson n'a failli ni tremblé. le comte de Monte-Cristo ne tremble jamais. Tout gosse, il a juré d'avoir sa vengeance sur cette société blanche bien-pensante, il l'aura. Au sommet de la gloire, il vivra comme une rock star, adulé par ses compatriotes Noirs, sortira sa famille de la misère et se mariera trois fois. Toujours avec des blanches. Vengeance.
Mais l'Amérique n'est pas prête. Et son nom sera sali, bafoué, traîné devant la justice.

L'auteur redore ainsi une image ternie, écornée et remet dans la lumière un grand champion, pionnier dans la reconnaissance de la boxe noire américaine au haut niveau, injustement condamné et oublié. Au-delà des prouesses sportives et des provocations, Aronson réhabilite humblement un précieux maillon de cette chaine de la défense des droits des minorités. L'écriture reste simple mais le ton sonne juste. Et les mots fusent tels des uppercuts, tour à tour assommants ou grisants.

Récit percutant, troublant, éloquent, qui ne met pas K.O mais étourdit néanmoins suffisamment pour vouloir se relever plus fort, reprendre les gants et poursuivre un combat toujours actuel malgré plus d'un siècle passé.
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