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Critique de Sofiert


Il faut assurément beaucoup de talent pour accompagner pendant 5 pages la defecation d'un jeune homme dans un camp de réfugiés pendant que tombent les bombes. Ou pour assister, durant une trentaine de pages, à sa toilette nocturne au bord d'un puits alors que sa nouvelle épouse dort dans une petite clairière.

Anuk Arudpragasam, un jeune auteur de 25 ans originaire du Sri Lanka, s'acquitte à merveille de cette tâche. Dans un premier roman d'une rare intensité, il raconte 24h de la vie de Dinesh, un jeune réfugié repoussé de camp en camp par la guerre.
Après avoir perdu sa mère, il aide à transporter les mourants à la clinique de fortune et les morts à la fosse commune. Dans un état d'hebetude, il côtoie des enfants amputés, des membres dispersés et des corps déchiquetés.
" Une fois, après un bombardement, Dinesh avait vu un homme au bras amputé errer comme à la recherche de son membre manquant : il ramassait les différents avant-bras qu'il trouvait par terre et essayait chacun d'eux comme s'il s'achetait de nouveaux vêtements, faisant une moue insatisfaite chaque fois que la taille ou la couleur de peau ne correspondait pas."

L'auteur n'épargne pas au lecteur les horreurs de la guerre, mais ce qu'il s'attache à suivre, ce sont toutes les vérités du corps dans ce qu'il a de plus prosaïque mais aussi de plus noble. Ainsi verra-t-on Dinesh reprendre possession de son corps en mangeant, en urinant, en le lavant, en respirant ou en éprouvant du désir. En se reconnectant à chacun de ses organes, il exprime la dévotion pour un corps en péril et tous les efforts à accomplir pour conserver son humanité.
Dans ces moments d'intimité avec son propre corps, il exprime davantage la violence politique et nous fait ressentir l'horreur viscérale de la guerre.

Le mariage arrangé de Dinesh et Ganga devrait manquer de romantisme, surtout qu'il est entaché d'un fatalisme bien peu attirant " Les choses arrivent, voilà tout, il nous faut les accepter. le bonheur et la tristesse sont réservés aux gens qui peuvent contrôler ce qui leur arrive."
Malgré cela, la rencontre des deux jeunes gens transmet tous les possibles et rend magique cette nuit partagée. Car il y a bien plus dans cette mécanique du désir, qu'une simple pulsion biologique.
Toute la poésie de cette nuit est contenue dans de petits moments d'une exquise tendresse : une main effleurée, une respiration plus rapide, la chaleur d'une hanche. Les larmes de Dinesh remontent à la mémoire du corps, lorsque se dénoue la douleur au contact d'une autre peau.

Dans ce roman aussi brillant que simple, Anuk Arudpragasam a écrit un livre fondamental sur l'amour, la guerre, la vie et la mort. Il a choisi de le faire par le prisme du corps et touche ainsi à une part d'humanité souvent négligée. Avec une écriture si dense et si méticuleuse, avec une telle intelligence et une telle empathie que l'on ressort bouleversé d'une telle lecture.
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