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17 novembre 2021
Il est encore temps de réfréner notre chute vers l'abîme

En introduction, Cécile Asanuma-Brice décrit un tremblement de terre en mars 2011, la forte intuition que « celui-ci diffère des précédents », le retentissement des sirènes, la sortie des personnes de toutes parts, les destructions et l'arrêt d'un monde. Les images le lendemain du tsunami qui a ravagé le Tôhoku, les secousses à répétition, « répétition incessante de balancements incertains », l'information au conditionnel « Et puis la nouvelle tombe, résonnant, sempiternelle : une centrale nucléaire aurait été touchée… », le conditionnel devenu certitude.

Omissions d'informations, informations orientées afin de ne pas entraver les choix industriels, non divulgation au grand public…

« Au delà du récit de cette catastrophe sans précédent, c'est cette dernière attitude que je souhaite, entre autres, questionner dans cet ouvrage. L'incertitude des informations participe d'une violence structurelle inhérente à la gestion des catastrophes industrielles dans un contexte de libéralisme effréné qui vise à préserver sa ligne et à maintenir son équilibre coûts-bénéfices, retournant les pires désastres en opportunités de profits, quelles qu'en soient les conséquences pour les victimes directes »

Il nous faut comprendre la façon dont la violence s'est construite dans le contexte de Fukushima, analyser les logiques inhérentes à la violence structurelle de nos sociétés, reconsidérer le secteur de l'énergie, mesurer l'échelle des gravités, ne pas être « victime de la banalisation de la catastrophe, au point de la sentir lointaine alors qu'elle se trouvait sous mes pieds ».

Sommaire

Catastrophe naturelle et désastre nucléaire : une gestion impossible

Le peuple s'organise

La mise en place d'une politique de relogement

Les conséquences sanitaires de la catastrophe

Inciter au retour : décontamination et communication du risque

Les vertiges de la reconstruction

Un séisme, un tsunami, une centrale nucléaire, les conséquences sociales d'une catastrophe. L'autrice aborde, entre autres, le décalage entre les événements du terrain et le récit des autorités, les responsabilités dans les situations de désastre, l'évacuation d'une zone radiocentrique, l'élargissement de la zone d'évacuation, la volonté gouvernementale de limiter le nombre de réfugié·es, le chantier et l'évacuation de gravats extrêmement radioactifs, le confinement préconisé et la concentration radioactive considérable dans l'atmosphère, le cafouillage de l'évacuation et ses conséquences directes sur les populations, la mise en danger des enfants avec la réouverture des écoles, les taux de radioactivité dépassant les « normes acceptables »…

Les populations ne sont pas restées inactives. Cécile Asanuma-Brice discute des mobilisations pour réviser la zone d'évacuation, « Les modifications de la zone ne permirent cependant pas l'inclusion de l'ensemble des territoires contaminés », du réseau National Network of Parents to Protect Children from Radiation, de l'organisation de prélèvements d'échantillons d'urine, l'intervention gouvernementale pour arrêter ces mobilisations « susceptibles de générer la panique », des manifestations pour l'arrêt du nucléaire, des associations non gouvernementales « indispensables à la gestion du désastre », de la Citizen Radioactivity Measurement Station (CRMS), de la Citizen Scientist international Symposium on Radiation Protection (CSRP), des définitions concurrentes de l'accident, des enjeux de protection des populations, de la remise en cause de l'énergie nucléaire…

Déplacement de populations, politique de relogement, l'autrice présente la répartition géographique des dégâts, la création de l'appellation de « réfugiés volontaires », des effets de relogement loin des cadres de vie habituels, les logements provisoires et la permanence du provisoire, « la gratuité des loyers ne réglait pas la question des charges à payer par les résidents », les scandales politiques accompagnant la crise, les détournements de fonds publics, la non-distribution de pastilles d'iode, les relevés de mesures de contamination faussés, la minimisation des conséquences de la catastrophe et de la dangerosité du nucléaire…

J'ai notamment été intéressé par le chapitre « Les conséquences sanitaires de la catastrophe », les mort·es liées à l'accident de la centrale (« genpatsu kanrenshi »), la dégradation des conditions sanitaires sur le lieu du désastre, la Japan Association of Lawyers Against Nuclear Arms (JALANA) et ses principes fondateurs : « la restitution de leurs biens aux victimes de l'accident nucléaire, la demande d'un suivi sanitaire au long cours des « nouveaux » contaminés, la restauration de l'environnement pollué, l'opposition à la construction de nouvelles centrales nucléaires, le démantèlement des réacteurs existants, en commençant par les plus dangereux », les travailleurs de la centrale et les maladies professionnelles, le recours à des personnes sans-abris par les sociétés de sous-traitance, les cancers de la thyroïde, les conséquences psychologiques de la catastrophe, un taux élevé de syndrome de stress post-traumatique, le relèvement du niveau « acceptable » de radiation, les conditions d'un rétablissement de la santé mentale et physique…

Le gouvernement incite au retour. Cela pose les questions de la décontamination, de l'évaluation et de la communication sur les risques. Cécile Asanuma-Brice souligne, entre autres, l'omniprésence d'une politique de communication sur le risque, les limites de la décontamination, la contamination des forêts, les musées « de mise en scène de la catastrophe », la différence entre la réalité et les faits présentés, les invitations à tourner la page du désastre, l'acceptation des risques contradictoire à des politiques visant à les éviter, les responsabilités politiques, le terme flou de « résilience » et le déplacement des responsabilités, « Subrepticement, cette notion déplace la responsabilité de la violence vers les victimes elle-mêmes, qui sont appelées à surmonter les difficultés et à en tirer des leçons » (Eva Illouz cité par l'autrice).

Le dernier chapitre est consacré à la réalité de Fukushima aujourd'hui, les vertiges de la reconstruction, les suspensions des aides au refuge, la vie dans « une ancienne zone évacuée »…

En conclusion, Cette pause sur le bord de l'abîme, Cécile Asanuma-Brice revient sur le bilan de la gestion de la catastrophe, le bilan des activités citoyennes, les histoire de vies des réfugié·es et des résident·es.

« Loin de nous ici l'idée d'élaborer une critique à tous crins de la technologie, mais son emballement, généré en partie par le cadre économique dans lequel l'industrie est née qui lui impose de produire exponentiellement et de façon aveugle, sans tenir compte de tous les vivants (sans distinction de l'humain et du non-humain), doit être mis en question ».
Lien : https://entreleslignesentrel..
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