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Critique de batlamb


La postface de ce recueil présente Nakajima Atsushi comme un cousin japonais de Marcel Schwob. Et on comprend pourquoi en lisant ces récits où une érudition extrême s'efface derrière le plaisir du conte. Spécialiste de la culture chinoise, l'auteur s'amuse à en reprendre une vielle légende, qui contient une morale explicite : l'orgueil mal placé provoque un retour à l'état animal. Comme si le cycle karmique, devenu kafkaïen, n'attendait plus qu'un simple endormissement pour se mettre en action. Mais on peut tout de même s'interroger : le poète fut-il vraiment changé en tigre, ou bien s'agissait-il d'un tigre paranoïaque et doté de parole, rêvant qu'il avait été poète ?

Atsushi retranscrit malicieusement la doctrine taoïste, allant jusqu'à frôler la parodie avec « Le maître fabuleux », où un archer apprend de façon extrême à faire le vide dans son esprit en vue d'atteindre la perfection dans son art.

Egalement féru de lectures occidentales, Atsushi s'appuie sur les dialogues de Platon… et semble même préparer le terrain pour Borges. Dans « Le Fléau des lettres », les caractères gravés sur les anciennes tablettes babyloniennes deviennent l'incarnation de démons bien réels, qui fracturent le monde en des signes disjoints. Puis « La momie » d'un roi égyptien fait basculer un profanateur perse vers une réminiscence infinie de ses vies antérieures.

Quant à l'inspiration divine décrite dans l'Ion de Platon, elle devient ici une prétendue « Possession » par des esprits, sous le regard d'un narrateur faussement naïf qui raconte l'étrange apparition du besoin de déclamer des histoires au sein du peuple Scythe. Notre poète pré-homérique se taille malgré lui un destin à la Achille… ou à la Atsushi (dont la période de création fut brève mais intense).

L'héritage kafkaïen devient encore plus visible lors de la seule histoire vraiment horrifique du recueil : « L'homme-buffle », théâtre d'un rapport monstrueux entre père et fils. Là où Gregor Samsa était le souffre-douleur de sa famille, le monstre de cette histoire inverse totalement les rôles. Il est aidé par des rêves mensongers, que la réalité renvoie en négatif.

Les jeux de miroir oniriques continuent de troubler le réel dans « Le bonheur », afin de brouiller les rapports entre maître et serviteur. Rêve et vie matérielle jouent à cache cache.

Cette fin de recueil évoque aussi le folklore des îles pacifiques où Atsushi enseigna le japonais au début de la seconde guerre mondiale. Dans le même cadre, mais sans éléments fantastiques, « La poule » continue de décrire le réel comme une entité double, aussi compréhensible et incompréhensible que le tao. Sous la plume d'Atsushi, cela peut s'avérer à la fois drôle et inquiétant.
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