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Critique de JulienDjeuks


Considéré parfois comme le premier roman satirique français (genre à l'imitation du Don Quichotte, représenté en France par Scarron, Sorel, Furetière… - influencé tout autant par les oeuvres de Rabelais et le théâtre de farces du Moyen-Âge), le Baron de Faeneste est en fait disposé en dialogue socratique. Mais c'est Lucien de Samosate qui popularise cette forme et l'adapte au genre satirique dans l'antiquité, notamment dans ses Dialogues des morts (traditionnellement donnés en exercices de version grecque dans l'enseignement), où des personnages porteurs de thèses philosophiques célèbres se retrouvent ridiculisés ou contredits face aux évidences de la mort. On pensera également au théâtre de moralités médiévales : le texte prend l'apparence d'une discussion allégorique entre Paraître, "Faeneste" en grec ancien, et Être, "Enay". Cette forme permet avant tout de donner le spectacle d'une langue orale déformée par l'accent gascon retranscrit dans la graphie. Ce grotesque langagier (image d'une mauvaise appropriation de la langue), augmenté d'un lexique régional très présent, et de références à un contexte historique lointain et spécifique, rend la lecture parfois très obscure tout en étant par endroits hilarante d'étrangeté, de jeux de mots et de sonorités (nécessite de lire une page de notes de Mérimée pour une demi-page de texte à relire deux fois...). Ce phénomène de monstration d'une variante dialectale dans l'écrit, finalement rare dans la littérature française, sera repris par Cyrano de Bergerac dans sa pièce le Pédant joué en 1654, avant de devenir systématique chez les paysans de Molière. L'étrangeté langagière a cependant ici un but satirique bien plus que sociologique. Elle illustre le décalage entre ce que le baron voudrait montrer de lui quand il parle – un gentilhomme valeureux, au courant des finesses de la Cour – et ce qu'il est vraiment – un obscur noblillon de cambrousse lointaine, le bon nigaud qui essaie de s'approprier les codes de la Cour, n'en acquiert que l'écume.

À la manière du Quichotte, Faeneste est un personnage dominé par une obsession risible, née du piège de ses représentations (sur ce que doit être un homme de Cour). Regardant la Cour de loin, de sa Gascogne, il n'en distingue que la partie saillante, grotesque, maniérée. Imitateur sans profondeur, il devient caricature (le plouc gentilhomme). Il mêle à son patois des expressions à la mauvaise mode (italianismes, tics de langage), s'attife en tout lieu de vêtements extravagants qu'il ne sait porter, feint d'être toujours au courant de tout... Il représente par le spectacle de son personnage en parole et en actes un exemple à ne pas suivre, à la manière des comédies de moeurs. Mais comme ses cousins littéraires Alonso Quichano ou Lysis (du Berger extravagant), Faeneste est un fou sympathique. Car tout en étant lui-même ridicule, il dévoile, il dénonce. Enay, son interlocuteur, le fait parler tant pour se divertir à ses dépens, que pour l'exorciser de sa bêtise (dispositif identique à celui du Berger extravagant), en l'amenant à la déployer jusqu'à ce qu'elle soit indéniable (principe de l'ironie socratique). Enay joue le rôle du vieux sage qui se présente comme naïf (se disant ignorant du grand monde - mais plus vraisemblablement éloigné de la Cour tant par choix qu'à cause de sa confession protestante), pour mieux le faire accoucher d'une vérité sur la nature de la société de Cour : tous ne sont que des imitateurs les uns des autres, singes d'autres singes (on pense à la Grande singerie du château de Chantilly...), voulant se rapprocher du détenteur du pouvoir, le mâle dominant, le roi absolu ; centralisation culturelle qui force toute la noblesse jusque dans les régions les plus éloignées géographiquement et culturellement à se conformer, à se dénaturer, à se déraciner : à se perdre en quittant sa terre, sa culture et même sa religion, pour embrasser d'autres codes qu'ils ne maîtriseront jamais, condamnés à demeurer perdants lamentables à un jeu où ils auront toujours un coup de retard. le roman prend ainsi des allures de pamphlet contre l'un des fonctionnements les plus caractéristiques de la monarchie du XVIIe siècle...
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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