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Critique de Charybde2


Échapper au triste destin tracé par les codes patriarcaux bourgeois de l'entre-deux-guerres, en fuyant sur la mer, dans la danse indonésienne ou dans la Résistance : le formidable récit d'une émancipation surprenante et exemplaire.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/22/note-de-lecture-sen-aller-sophie-daubreby/

Extraordinaire premier roman, le « S'en aller » de Sophie d'Aubreby, publié chez Inculte Dernière Marge en août 2021, commence comme si la pionnière Anita Conti, pour son incroyable observation participante de la pêche hauturière, métier masculin s'il en est, avait dû, dans l'entre-deux-guerres, déguiser sa véritable nature interdite. C'est ce que nous raconte Carmen, qui n'est pas en mission à bord de ce chalutier, mais bien en fuite, en échappée, d'un mariage bourgeois tout tracé qui est d'emblée sous le signe de la trahison fondamentale. En contraignant son corps pour disparaître au sein d'un équipage d'hommes, sans laisser ailleurs de traces, elle gagne précocement sa liberté. Il va s'agir ensuite de faire vivre cette liberté, contre toutes convenances et contre tous corsets familiaux et sociaux, pour vivre sa vie émancipée sans se soucier outre mesure du qu'en dira-t-on, à une époque beaucoup plus redoutable que la nôtre de ce point de vue, en apparence tout au moins.

De la rencontre de son amie, de sa compagne de toute une vie, de près ou de loin, jusqu'à l'apprentissage sur place, à Java, de la danse et de la musique indonésiennes, de l'entrée en Résistance durant la deuxième guerre mondiale à Paris à la torture féroce subie sous les interrogatoires collaborateurs et nazis et au camp de concentration qui s'ensuit (on songera certainement à l'immense texte de Charlotte Delbo, « Auschwitz et après »), Carmen, en quatre grands tableaux enlevés, analytiques, ramifiés et toujours puissamment charnels, nous offre une émancipation de stature presque mythologique, comme un phare dressé au large d'une côte inhospitalière pour nous indiquer le mélange secret de détermination et d'intelligence, de sens profond de l'amitié et de rejet désormais instinctif de ce qui nous emprisonne contre notre gré, en prétendant faire société alors qu'il ne s'agit que de faire vivre encore les codes usés de la domination patriarcale (et économique).

Écrit avec beaucoup d'habileté, de sensibilité et d'intelligence, « S'en aller » est d'emblée un roman qui marque, qui bouscule les corps, durement, pour inscrire son échappée belle dans le paradoxe et dans la lutte quotidienne qui n'exclut ni amour ni amitié, bien au contraire. Alors que nous avons aujourd'hui plus que jamais besoin de figures mythiques sachant rester subtiles, d'exemples réels et fictionnels dépourvus de caricature mais sources de signification, Sophie d'Aubreby nous en offre une magnifique, puissante et complice.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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